Dans une décision rendue ce mercredi 3 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que les évaluations des produits pesticides conduites par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses), sont lacunaires en ne prenant pas en compte toutes les données scientifiques disponibles. La Cour demande à l’Anses de rectifier ces évaluations en prenant en compte toutes les données, dans un délai de 24 mois.
Générations Futures salue cette décision historique de la Cour administrative d’appel de Paris et félicite les associations requérantes (POLLINIS, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds, ANPER TOS et ASPAS – Association pour la protection des animaux sauvages) pour cette victoire. Il s’agit là d’une victoire majeure pour la science et d’une reconnaissance importante du caractère défaillant des évaluations de risque réglementaires des pesticides. Cette décision est historique à double titre.
Premièrement, le préjudice écologique résultant de l’utilisation massive de pesticides en France est reconnu. La Cour considère en effet comme “établie” l’atteinte des écosystèmes aquatiques et terrestres résultant de la “contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols” par les substances actives pesticides. Il est également établi le préjudice écologique “résultant de la diminution de la biodiversité et de la biomasse en raison de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques”. Il est important de souligner que sur ces 2 aspects, le ministère de l’agriculture n’a pas été en mesure d’apporter ne serait-ce qu’un seul argument contradictoire.
L’impact de cette pollution sur la santé humaine est également établi selon la Cour. Sur ce point, nous constatons l’attitude déplorable du ministère de l’agriculture, digne de marchand de doutes aguerris, qui a tenté de minimiser l’impact des pesticides en faisant valoir que la contamination des milieux et l’érosion de la biodiversité ont d’autres causes que la seule utilisation de pesticides. Argument vite retoqué par la Cour qui considère qu’il “n’en résulte pas moins que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est responsable d’une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. »
Deuxièmement, et c’est surement là le plus important, la Cour reconnaît que “les carences de l’Etat dans l’évaluation des risques […] même si elles ne sont pas, par elles-mêmes, à l’origine du préjudice écologique résultant des produits phytopharmaceutiques, qui a une origine multifactorielle, ont nécessairement eu pour effet de contribuer à son aggravation.”
En particulier, la Cour reconnaît que “l’Anses a commis une faute” en ne prenant pas en compte l’ensemble des données scientifiques disponibles pour évaluer les risques des produits pesticides, en particulier sur les impacts sur les espèces non cibles. La Cour enjoint donc l’Etat […] de mettre en œuvre une évaluation des risques […] à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques, notamment en ce qui concerne les espèces non-ciblées, […] et de procéder, le cas échéant, au réexamen des autorisations de mises sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences, et ce dans un délai de vingt-quatre mois”. Le nombre de produits qui devront être réévalués est pour l’instant difficile à estimer mais est potentiellement très élevé (probablement plusieurs centaines).
Deux ombres au tableau dans cette décision qui n’en demeure pas moins une immense victoire: la Cour d’appel ne reconnaît pas de faute de l’Etat concernant la non atteinte des objectifs de réduction de l’usage des pesticides prévus dans les plan Ecophyto, ces objectifs étant non contraignants. Également, et contrairement à la décision rendue par le Tribunal administratif de Paris en juin 2023, la responsabilité de l’Etat dans la pollution des eaux souterraines par les pesticides n’est pas suffisamment établie
« La décision de la Cour administrative d’appel de Paris est historique en ce qu’elle reconnaît un lien de causalité entre une évaluation réglementaire des pesticides défaillante et les impacts néfastes sur la biodiversité et la santé » déclare Pauline Cervan, toxicologue chez Générations Futures. « C’est une reconnaissance majeure pour Générations Futures et toutes les associations qui travaillent sans relâche à documenter les limites et défaillances de l’évaluation réglementaire des pesticides. Cette décision nous conforte dans notre travail et Générations Futures continuera par tous les moyens à tenter de faire interdire des produits dangereux pour l’environnement et la santé et qui n’ont pas été correctement évalués » conclut-elle.
Rappel : à l’initiative de 5 associations, POLLINIS, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds , ANPER TOS et ASPAS – Association pour la protection des animaux sauvages, le recours justice pour le Vivant a visé à engager la responsabilité de l’Etat pour préjudices écologiques dans l’effondrement de la biodiversité du fait de protocoles d’évaluation des pesticides (produits phytopharmaceutiques) défaillants.