Les néonicotinoïdes, dont par exemple l’imidaclopride (IMI), la clothianidine (CLO) et le thiaméthoxame (TMX), représentent 25 % du marché mondial des insecticides agricoles, ce qui en fait la famille de pesticides les plus utilisés dans le monde. Ces pesticides sont dits systémiques, c’est-à-dire qu’ils sont partiellement absorbés par la plante et transportés vers l’ensemble de ses tissus. En effet, environ 2 à 20 % du traitement des semences est absorbé par la plante pendant sa croissance et est réparti entre les feuilles, les fleurs, le pollen et le nectar, à des concentrations suffisantes pour lutter contre les invertébrés nuisibles. Les néonicotinoïdes sont ainsi couramment appliqués comme traitement des semences de cultures alimentaires importantes comme le maïs, le soja, le colza, le tournesol, les céréales et les betteraves.
Au cours de la dernière décennie, l’impact des néonicotinoïdes sur les invertébrés non cibles a été documenté. En conséquence, les préoccupations relatives aux impacts accidentels sur les pollinisateurs (par exemple, par la disponibilité dans le nectar et le pollen) ont conduit l’Union européenne à interdire ou à imposer un moratoire sur l’utilisation de l’IMI, du CLO et du TMX sur les cultures à fleurs en 2013. En mai 2018, le moratoire a été élargi pour inclure toute utilisation extérieure de l’IMI, du CLO et du TMX d’ici la fin de 2018, en raison de la menace que ces produits chimiques représentent pour les pollinisateurs en raison de leur persistance dans le sol, de leur solubilité dans l’eau, de leur transport hors du site d’application et de leur absorption par d’autres plantes.
Cependant, ces pesticides restent largement utilisés en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Et en France ? Bien qu’interdits depuis 2018, une loi autorise désormais, à titre dérogatoire, les producteurs de betteraves à sucre à les utiliser jusqu’au 1er juillet 2023. Or, si la toxicité sur les invertébrés ne suffisait pas, les effets néfastes des néonicotinoïdes semblent aller au-delà des pollinisateurs pour inclure les vertébrés.
Si la toxicité pour les vertébrés apparait à des doses dépassant les niveaux disponibles dans les plantes cultivées consommées par les humains et le bétail, il n’en est pas de même pour d’autres espèces comme les oiseaux et les mammifères sauvages, davantage susceptibles d’être exposés à de fortes doses de néonicotinoïdes par l’ingestion de graines traitées. En effet, l’ingestion d’un petit nombre de graines traitées peut être mortelle pour les oiseaux. A titre d’exemple, l’ingestion d’un seul grain de maïs traité est mortelle pour un oiseau de la taille d’un geai bleu.
En 2014, le ministère de l’agriculture du Minnesota a déclaré que « Bien que les néonicotinoïdes soient moins toxiques pour les vertébrés que pour les arthropodes, la consommation directe de semences traitées aux néonicotinoïdes peut exposer les oiseaux et d’autres taxons à des doses aiguës ou chroniques« .
En laboratoire, les effets sublétaux comprennent :
- Chez les oiseaux: hyporéactivité, manque de coordination, immobilité, perturbation de la coordination migratoire, amincissement de la coquille des œufs, réduction du taux d’éclosion des œufs, altération de la fonction testiculaire et faible poids des poussins.
- Chez les mammifères : retard de maturation sexuelle, difformités du sperme, accouchements prématurés, fausses couches et malformations congénitales.
Nous allons ici décrire une autre étude, qui a eu pour objectif de compléter les études en laboratoire et sur le terrain déjà effectuées, en estimant la disponibilité et en documentant la consommation par la faune de semences traitées aux néonicotinoïdes pendant la saison des semis aux Etats-Unis. Les scientifiques ont pour cela examiné un paysage agricole dominé par le maïs, le soja et le blé, qui fournit 3 tailles de graines pouvant être ingérées par des oiseaux, ainsi que par des mammifères qui consomment des haricots et des céréales. Le but principal a été de déterminer si la faune peut être exposée à des doses potentiellement létales ou sublétales de néonicotinoïdes par le biais des semences traitées.
La première constatation est que les semences traitées aux néonicotinoïdes sont courantes pendant la saison des semis de printemps. En outre, cette étude met en évidence la consommation par les oiseaux et les mammifères des graines déversées sous seulement quelques jours, soit dans un délai où les produits chimiques sont encore abondants sur les graines. Ainsi, la faune peut être exposée à des doses de néonicotinoïdes qui pourraient potentiellement avoir des effets sublétaux ou mortels.
Ces observations réfutent, non seulement l’idée que les animaux sauvages ne mangeront pas les semences traitées, mais elles montrent malheureusement que les bonnes pratiques de gestion des semences n’ont pas toujours été suivies, malgré les avertissements clairs sur les dangers pour la faune sur les étiquettes des produits. En effet, le nettoyage ou le recouvrement des déversements peut aider à réduire la disponibilité des semences pour la faune. Or, l’analyse chimique des graines déversées présentait des concentrations variables qui suggèrent que certaines graines avaient été laissées dans les champs pendant au moins 5 jours et n’avaient pas été nettoyées ou recouvertes. De même, des taux de déversements anormalement élevés ont été constatés dans certains champs, ce qui pourrait indiquer une différence en termes de sensibilisation aux dangers pour la faune entraînant une mauvaise gestion des semences.
Par ailleurs, la disponibilité des semences entre les coins et les centres des champs confirmeraient l’interprétation selon laquelle le matériel est plus efficace pour semer dans le sol lorsqu’il se déplace en ligne droite le long des rangées que lorsqu’il tourne en bordure des champs, tout comme Lopez-Antia et al. (2016) l’ont signalé. Les innovations ou les pratiques agricoles visant à améliorer l’efficacité du semis en bout de rang pourraient réduire la disponibilité des semences pour la faune. Il est important de noter que de nombreuses espèces sauvages dépendantes des lisières (par exemple, les faisans à collier, les dindes, les cerfs de Virginie) ont tendance à concentrer leurs activités plus près des lisières des champs où les semences sont plus disponibles qu’au centre des champs.
Les graines collectées présentaient des concentrations très variables de néonicotinoïdes. Il est important de noter que certaines graines avaient des concentrations inférieures à la limite de détection, ce qui indique que les graines avaient subi des traitements autres que les néonicotinoïdes (par exemple, des fongicides) pour lesquels aucun test n’a été effectués. En outre, dans de nombreux cas, les concentrations sur les semences étaient bien inférieures au taux d’application habituel, ce qui indique soit que les produits chimiques se sont écoulés de la surface des semences, soit que les semences ont pu être stockées après l’achat au cours des années précédentes.
Ces recherches prouvent que les semences traitées sont consommées par la faune. En effet, elles sont abondantes et largement disponibles à la surface du sol pendant la saison des semis au printemps. Le soja était la graine la plus couramment disponible pour la consommation par les animaux sauvages à la surface du sol et en cas de déversement de graines. Il s’agit d’un type de graine sur laquelle l’imidaclopride est encore utilisée aux États-Unis. Or, l’imidaclopride est plus toxique pour les animaux vertébrés et invertébrés que les autres néonicotinoïdes. Les déversements de maïs et de blé ont également été documentés dans cette étude et, en raison de leur importance agricole et de leur consommation par la faune, ils peuvent constituer une voie d’exposition importante de la faune aux néonicotinoïdes. Si la disponibilité généralisée des semences traitées à la surface du sol et lors des épandages de semences n’est pas prise en compte dans les évaluations des risques liés aux pesticides, ces derniers pourraient présenter un risque d’effets sublétaux et mortels pour la faune.
Source :
Roy CL, Coy PL, Chen D, Ponder J, Jankowski M. Multi-scale availability of neonicotinoid-treated seed for wildlife in an agricultural landscape during spring planting. Sci Total Environ. 2019;682:271-281. doi: 10.1016/j.scitotenv.2019.05.010