Le tribunal judiciaire de Vienne a accueilli ce 3 avril 2025 les plaidoiries dans le cadre du procès opposant la famille Grataloup à Monsanto (aujourd’hui Bayer). Une affaire emblématique où les parents d’un enfant né avec de graves malformations mettent en cause l’exposition de la mère au glyphosate lors des premières semaines de sa grossesse.
Une famille face à un géant de l’agrochimie
Depuis plusieurs années, Sabine Grataloup et son époux mènent un combat judiciaire contre le géant de l’agrochimie Monsanto (racheté par Bayer en 2018). Ils accusent l’exposition de Sabine au glyphosate d’être responsable des graves malformations dont souffre leur fils Théo, né avec un syndrome polymalformatif qui a nécessité plus de 50 interventions chirurgicales depuis sa naissance.
À l’audience, l’avocate de la famille a rappelé le parcours médical douloureux de l’enfant : « La première opération a eu lieu dans les 24 premières heures de sa vie. Entre février 2009 et 2014, Théo a subi 20 opérations. » Selon les médecins, aucun facteur génétique ni comportemental de la mère ne pourrait expliquer ces malformations.
Le glyphosate : un herbicide controversé
Le glyphosate, principe actif du célèbre désherbant Roundup® commercialisé par Monsanto depuis 1974, est au cœur de nombreuses controverses scientifiques et judiciaires à travers le monde. Dans le cas présent, c’est le produit « Glyper », distribué par Nova Jardin mais contenant la substance active glyphosate fournie par Monsanto, qui est mis en cause.
L’exposition a eu lieu en août 2006, lors des premières semaines de la grossesse de Sabine Grataloup, alors qu’elle ignorait son état. Selon les témoignages présentés, plusieurs pulvérisations auraient été effectuées sur une carrière de 700m².
Les éléments de droits soutenus par la famille
Les avocats de la famille Grataloup ont articulé leur plaidoirie autour de deux axes principaux :
- La responsabilité du fait des produits défectueux (article 1240 du Code civil) : ils soutiennent que Monsanto est bien le producteur du glyphosate contenu dans le Glyper, que ce produit présente un défaut de sécurité, et qu’il existe un lien de causalité entre l’exposition et les malformations de Théo.
- La responsabilité délictuelle de droit commun : En s’appuyant notamment sur les Monsanto Papers révélés en 2017, ils accusent Monsanto d’avoir dissimulé des informations sur la toxicité du glyphosate et d’avoir mené une campagne de désinformation et de publicité mensongère sur la dangerosité du glyphosate, et ainsi d’avoir manqué à son devoir de vigilance.
Ils ont aussi mis en avant les conclusions de plusieurs études suggérant un lien entre exposition au glyphosate et malformations survenues chez l’animal mais aussi celles de l’expertise collective de l’INSERM de 2013 – mise à jour en 2021, , qui avait déjà pointé des liens entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies. De même, un rapport sénatorial de 2012 sur les pesticides avait soulevé des questions sur l’évaluation des risques.
La défense de Monsanto : contestation sur tous les fronts
Les avocats de Monsanto ont vigoureusement contesté l’ensemble des arguments avancés par la famille Grataloup :
- Sur la qualité de producteur : ils affirment que Monsanto France n’est pas le fabricant du Glyper, mais que celui-ci est produit par d’autres entités du groupe.
- Sur l’exposition : ils remettent en question la réalité même de l’exposition de Sabine Grataloup, qualifiée de « prétendue », et contestent la recevabilité des témoignages fournis. Un argument particulièrement technique a été avancé concernant l’étiquetage du produit, Monsanto affirmant que le produit Nova Jardin n’existait pas à la date d’achat alléguée par la famille en 2005, ce qui remettrait en question la véracité de l’exposition. Un argument balayé par la famille à la sortie de l’audience.
- Sur la dangerosité du produit : ils soutiennent qu’il n’existe pas de preuve scientifique établissant un lien entre le glyphosate et les malformations congénitales.
- Sur la forclusion : ils invoquent le délai de prescription de dix ans, estimant que l’action est tardive.
Un enjeu qui dépasse le cas individuel
« Générations Futures salue le courage de la famille en général et de Théo en particulier. Les plaidoiries des avocats de Monsanto étaient sans surprise. Elles visaient à se défausser de toute responsabilité et visaient à insuffler le doute sur la réalité de l’utilisation et donc de l’exposition au produit et de fait sur le lien de causalité entre le glyphosate et les malformations de Théo. » Déclarent Générations Futures représentées ce jour par sa Déléguée Générale Nadine Lauverjat, sa toxicologue Pauline Cervan et son relai local de Lyon Denis Bariod.
« En réalité, ce procès illustre parfaitement les failles du système d’évaluation des pesticides en Europe. Pendant des décennies, l’industrie a pu commercialiser des substances dont les effets à long terme sur la santé n’étaient pas correctement évalués, notamment pour les femmes enceintes et les enfants à naître. Les ‘Monsanto Papers’ ont révélé comment certaines entreprises ont pu influencer la science pour maintenir leurs produits sur le marché malgré des alertes sérieuses. On espère que la justice saura entendre les arguments avancés par la famille Grataloup à la fois pour Théo mais plus globalement pour les familles victimes des effets néfastes des pesticides. » Conclut-ils.
Le tribunal rendra sa décision le 31 juillet 2025.