Un site de BASF producteur d’un pesticide interdit responsable d’importants rejets de TFA, un polluant éternel.
Générations Futures alerte sur les rejets très importants en TFA d’un site industriel de BASF spécialisé dans la synthèse de pesticides, situé à Saint-Aubin-Lès-Elbeuf en Normandie. Ces rejets ont été identifiés dans le cadre de la surveillance des rejets aqueux des sites industriels susceptibles d’émettre des PFAS, encadrée par l‘arrêté du 20 juin 2023. Les données sont disponibles sur le site de la DREAL Normandie (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, un service déconcentré du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).
Contexte
L’usine de BASF à Saint-Aubin-Lès-Elbeuf, est “spécialisée dans la fabrication de produits phytosanitaires destinés à l’agriculture : insecticides, fongicides (lutte contre les maladies) dont une grande partie est utilisée en enrobage des semences” selon le site internet de BASF Agri Production, exploitant du site. Le site est spécialisé en particulier dans la synthèse du fipronil, un insecticide interdit en Europe pour ses usages agricoles et appartenant à la famille chimique des PFAS. Si cette substance peut également être utilisée en médecine vétérinaire, le fipronil fabriqué par BASF est bien majoritairement destiné à l’agriculture et à l’export comme précisé par la firme : “le fipronil est destiné principalement aux marchés brésiliens (canne à sucre, soja), nord-américain (termites), japonais (riz) et européens.”
La plateforme chimique de Saint-Aubin-Lès-Elbeuf est partagée avec l’établissement Euroapi, producteur de substances actives pharmaceutiques, et ici spécialisé dans la fermentation et la production de vitamine B12. Les 2 usines sont liées car les effluents aqueux de BASF sont dirigés vers une station d’épuration interne gérée par Euroapi, selon le rapport de l’inspection du 22 février 2022, disponible sur le site géorisque.
Ces deux industriels font partie des sites concernés par l’arrêté du 20 juin 2023, prévoyant une campagne d’analyse de certains PFAS dans les rejets aqueux de sites industriels. Les résultats de cette campagne, 3 analyses espacées d’un mois chacune, ont commencé à être publiés par les différentes DREAL, et dans le cas présent par la DREAL Normandie.
L’usine de BASF a déjà été épinglée par les équipes de Vert de Rage pour ses rejets très importants de fipronil. Les analyses des eaux de rejet de l’usine réalisées par les journalistes ont en effet mis en évidence des taux de fipronil plus de 300 fois supérieurs au seuil de risque environnemental (PNEC). Il s’agit désormais des rejets en TFA, une substance utilisée pour la production de fipronil, qui sont mis en évidence par ces nouvelles analyses.
Rejets de TFA : un nouveau record
Les analyses de BASF indiquent que des quantités très importantes de TFA sont rejetées vers la station d’épuration interne gérée par Euroapi. Une analyse réalisée en mai 2024 indique des concentrations records de TFA dans les effluents (420 mg/L) correspondant à une quantité de TFA rejetée ce jour dans la station d’épuration d’Euroapi de 176 kg !
BASF rejette également du TFA directement dans le milieu naturel, dans des eaux pourtant qualifiées par BASF de “propres”: des concentrations allant jusqu’à 53 µg/L correspondant à 215 g/j ont ainsi été émises directement dans le milieu naturel.
La majorité du TFA émis par BASF est donc dirigé vers la station d’épuration d’Europapi. Mais les analyses réalisées par cette dernière indiquent que le traitement mis en place ne permet pas d’éliminer le TFA, retrouvé en grande quantité dans les effluents de la station à destination du milieu naturel ! Des quantités allant jusqu’à 87 kg/j de TFA ont été émis directement dans la Seine.
A titre de comparaison, nos analyses dans les rejets de la plateforme chimiques de Salindres dans le Gard, réalisé en en septembre 2023, s’élevaient à “seulement” 9 801 µg/L, dont 7 600 µg/L de TFA, soit presque 4 fois moins que la plus haute concentration identifiée dans les rejets à Saint-Aubin-Lès-Elbeuf !
La situation n’est de plus pas prise en compte par les arrêtés préfectoraux réglementant ces installations. En effet, si des limites d’émissions existent pour le fipronil, le triticonazole ou encore le pyriméthanil, tous trois produits par BASF, il n’existe aucune mention du TFA ! C’est donc en toute légalité que ces rejets se font, sans aucune mesure prise par les industriels ou par les autorités pour minimiser ces rejets.
Rejets de TFA : quelles conséquences ?
Cela fait maintenant plusieurs mois que Générations Futures alerte sur le TFA. Cette molécule appartenant à la famille des PFAS à chaîne ultra courte, est extrêmement mobile et persistante, et est capable de contaminer tous les milieux ainsi que l’eau potable. Cette substance est à la fois utilisée pour la fabrication d’autres PFAS – comme par exemple ici le fipronil, mais est également un produit de dégradation de pesticides PFAS ou de gaz fluorés, ce qui explique, avec sa grande persistance, son accumulation dans l’environnement.
Les études disponibles indiquent que le TFA est toxique pour le foie et pour la reproduction, ce qui a conduit l’Allemagne à déposer une demande de classification du TFA comme reprotoxique probable pour l’homme fin 2023. Fin octobre, des chercheurs ont même publié une étude estimant que les données disponibles permettent de conclure que le TFA remplit “les trois conditions d’une menace pour les limites planétaires”, impliquant la nécessité de limiter dès maintenant l’usage des substances ou procédés responsables des émissions du TFA, notamment les gaz fluorés ou la production de pesticides PFAS.
Pourtant, malgré ces signaux plus qu’alarmants, le TFA n’est peu, voire pas du tout suivi, que ce soit dans les eaux potables ou dans les différents milieux tels que les eaux de surfaces ou souterraines où il a déjà été retrouvé. Ici même, dans le cadre de cette campagne d’analyse encadrée par l’arrêté du 20 juin 2023, seuls quelques sites industriels ont inclus le TFA dans leurs analyses.
Rejets de TFA : et maintenant ?
Cette campagne d’analyse souligne l’importance du suivi des effluents aqueux en incluant des substances jusqu’ici non recherchées, et l’importance de mettre en place de valeurs limites d’émissions pour les PFAS, jusqu’à présent très peu prises en compte dans les arrêtés préfectoraux. En particulier, le TFA, pourtant identifié ici dans des concentrations très importantes, ne fait pas partie de la liste des PFAS prévus par l’arrêté.
“Ces résultats indiquent que la production de fipronil, un insecticide interdit en Europe en agriculture et dont 75% est destinée à l’export, est responsable d’émission très importante de TFA dans l’environnement. La production de pesticides interdits, qui cause une pollution significative dans les pays utilisateurs comme le Brésil et entraîne la contamination des denrées alimentaires importées, est donc également à l’origine d’une forte pollution locale, un aspect jusqu’ici peu abordé.” déclare le Dr Pauline Cervan, toxicologue et chargée de mission chez Générations Futures.
“La situation doit être prise en main par les autorités qui doivent dès à présent inclure le TFA dans une étude d’impact et fixer des limites strictes de rejets pour BASF et Euroapi. Des traitements plus efficaces doivent être mis en place afin de minimiser les rejets de TFA. C’est d’autant plus importants qu’il est probable que des situations similaires soient possibles ailleurs en France.” conclut Mathieu Ben Braham, chimiste et chargé de mission chez Générations Futures