Lorsque dans les années 1970 les matériaux traditionnellement employés, tels que le bois et le métal, sont progressivement remplacés par des matériaux polymères [1], de nouvelles substances font leur apparition : les retardateurs de flamme.
Ces composés chimiques commercialisés sous forme de mélanges sont utilisés pour prévenir la formation de flamme. Ils sont supposés minimiser les risques incendie.
Mais leur réelle efficacité n’a jamais été établie, tandis que les preuves de leur toxicité pour notre santé et pour l’environnement s’accumulent depuis des décennies.
Quelles substances se cachent derrière le terme très général de Retardateurs de flamme (RF) et dans quel contexte sont-elles utilisées ? Quels sont les risques associés à une exposition aux RF pour la population et pour l’environnement? Ces produits nous protègent-ils efficacement des risques incendies ?
Le terme de Retardateur de flamme désigne des substances ignifugeantes (i.e. qui permettent d’atténuer l’aptitude à la combustion) ajoutées à des matériaux pour prévenir la formation de flamme. Environ 350 substances différentes employées en tant que RF sont répertoriées dans la littérature [2], parmi lesquelles 69 seraient utilisées dans l’UE [3]. Elles peuvent être classés en trois grandes famille : les halogénés (bromés, chlorés), les dérivés du phosphore et les hydroxydes métalliques.
Associés dans la plupart des cas à des matériaux polymères, les RF se cachent dans les meubles et tissus d’ameublement, les matériaux de construction, les emballages textiles et non alimentaires, les véhicules et l’isolation des circuits électriques et électroniques. Au total, environ 40% des plastiques utilisés en Europe sont associés à des RF, soit 20Mt par an [3].
Omniprésents dans notre environnement, les retardateurs de flamme sont pourtant nocifs pour notre santé !
En effet, les RF intégrés à tous ces plastiques migrent sans cesse vers l’environnement et nous contaminent par absorption cutanée, par inhalation (air intérieur et poussières domestiques) ou par ingestion (via l’alimentation) [4], [5], [6], [7].
Pareille contamination est loin d’être anodine puisque les retardateurs de flamme sont tantôt cancérigènes [8], [13], reprotoxiques [11], [12], perturbateurs endocrinien [8], [9], [12] et neurotoxiques [10], [12] suspectés ou avérés selon les substances considérées. A l’heure actuelle, 13 substances RF utilisées dans l’UE sont en cours de réexamen par l’ECHA en tant que PBT (“persistent, bioaccumulation, toxic”) ou/et perturbateur endocrinien.
Par ailleurs, la forte capacité de bioaccumulation d’une grande partie des retardateurs de flamme accentue leur toxicité : d’après le centre d’expertise en analyse environnemental du Québec, les concentrations moyenne de RF bromés dans les tissus humains doublent environ tous les 5 ans.
Voir l’étude Esteban [4], qui a quantifié pour la première fois la contamination de la population française par les RF bromés.
Mais les humains ne sont pas les seuls à pâtir de la pollution aux RF.
Ces produits chimiques présentent également des caractéristiques écotoxiques et nuisent donc à l’environnement dans son ensemble. Leur présence dans les milieux s’explique par plusieurs facteurs. Dans beaucoup de cas, ils ne sont pas liés aux polymères par des liaisons chimiques et peuvent par conséquent facilement migrer vers l’environnement. Dès lors, leur caractère volatil favorise leur dissémination (on en retrouve jusqu’en Arctique [14]), et leur stabilité assure leur longévité.
En résumé, leur imprégnation des milieux est en règle générale spontanée et définitive [15].
Dangereux pour notre santé et notre environnement, sont-ils au moins efficaces contre les incendies ?
Rien n’est moins sûre ! Dans le cadre de stratégies anti-incendie déployées à travers le monde, les RF ont été largement adoptés pour réduire l’inflammabilité de nos intérieurs.
Depuis, plusieurs études statistiques ont tenté de prouver l’efficacité des retardateurs de flamme dans la lutte contre les incendies, notamment aux Etats-Unis [17], et en France [16], mais sans succès. Le dernier rapport de l’Anses sur le sujet révèle en 2015 qu’il est impossible de mesurer l’efficacité des RF dans les meubles rembourrés à usage domestique.
A la lumière de ces dernières conclusions, le recours à ces produits chimiques toxiques apparaît plus absurde que jamais. D’autant plus que de nombreuses alternatives, respectueuses de notre santé, de l’environnement et plus efficace existent !
Quelles alternatives aux RF ?
Sur le plan des solutions chimiques, les systèmes intumescents, par exemple, sont intéressants car ils permettent en gonflant sous l’effet de l’irradiation thermique de protéger le polymère par effet barrière [18]. Mais il convient également de souligner l’importance des mesures d’anticipation et de prévention des incendies, qui peuvent s’avérer bien plus efficientes que les solutions chimiques. On peut notamment citer l’instauration d’un « registre national des incendies » pour mieux comprendre les modalités de déclenchement et facteurs de gravité, l’installation de DAAF ou le contrôle des installations électriques.
Les substitutions potentiellement malheureuses, qui consistent à remplacer une substance avérée dangereuse (dans notre cas, les RF bromés), par une substance susceptible de l’être (en l’occurrence les RF phosphorés) doivent être abordées avec précaution. Ces dernières années, les réglementations à l’encontre des RF bromés ont menées à un remplacement massif par des produis phosphorés dont la toxicité est très peu documentée !
La série d’enquêtes Vert de Rage a révélé ce lundi un scandale de contamination des enfants par un retardateurs de flamme phosphoré : le TDCPP, classé cancérogène de catégorie 2 selon la classification CLP.
Retardateurs de flammes : et maintenant ?
Générations Futures appelle les autorités françaises à prendre la mesure de la situation notamment en s’attaquant au manque cruel de données concernant la contamination de la population et des milieux, ainsi que la toxicité de nombreuses substances émergentes. A cet égard, Générations Futures attend la parution des résultats de l’étude épidémiologique sur la santé des sapeurs-pompiers promise par la ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour la fin d’année 2024.
Au niveau européen, l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) a été chargée par la Commission de réaliser une enquête sur les retardateurs de flamme et de produire un rapport d’ici la fin de l’année. La Commission s’appuiera ensuite sur les résultats obtenus pour monter, ou non, un dossier de restriction à l’échelle de l’UE.
Pour aller plus loin :
La contamination à petit feu. Un documentaire de la série Vert de Rage, réalisé par Martin Boudot et Mathilde Cusin.
Demain, tous crétin. Un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry De Lestrade
Sources
[1] « Amélioration des propriétés ignifugeantes d’un mélange Polypropylène/Ethylène Acétate de Vinyle recyclé », Amriout Lahna, Mémoire de l’Université de Béjaia, 2019
[2] “Brominated Flame Retardants – Substance Flow Analysis and Assessment of Alternatives”, Carsten Lassen and Søren Løkke COWI A/S, Lina Ivar Andersen Danish Institute of Fire Technology, Environmental Project Nr. 494 1999 https://www2.mst.dk/Udgiv/publications/1999/87-7909-416-3/199987-7909-416-3.pdf
[3] « Propriétés dangereuses des retardateurs de flamme dans les plastiques », Pierre Hennebert, Rapport DRC63 Ineris – 203523, v1.0, 2021
[4] « Imprégnation de la population française par les retardateurs de flame bromés », Etudes et enquêtes, Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016.
[5] « Evaluation et gestion des risques liés à l’exposition aux substances ignifuges bromées », E. Delahaye, M. Herrera, C. Oudot, Ecole Nationale de la Santé Publique, 2005
[6] Evaluation des émissions liées à l’exposition aux retardateurs de flamme dans le mobilier rembourré. Emilie Bossanne et al, Synthèse étude de l’ADEME, 2021.
[7] « Évaluation des risques liés à l’exposition aux retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés, Partie 2 – Evaluation des effets sur la santé et sur l’environnement, et estimation qualitative du rapport bénéfices/risques» Avis de l’Anses Rapport d’expertise collective, 2015.
[8] “Endocrine disrupting and carcinogenic effects of decabromodiphenyl ether”, Yi Wang, et al. Review article, Front. Endocrinol., Sec. Cancer Endocrinology, Volume 14, 2023, https://doi.org/10.3389/fendo.2023.1183815
[9] “The human body burden of polybrominated diphenyl ethers and their relationships with thyroid hormones in the general population in Northern China.” Huang, F., Wen, S., Li, J., Zhong, Y., Zhao, Y., & Wu, Y., The Science of the total environment, 466-467, 609–615. (2014). https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2013.07.008
[10] “Long term effects of murine postnatal exposure to decabromodiphenyl ether (BDE-209) on learning and memory are dependent upon APOE polymorphism and age.” Reverte, I., Klein, A. B., Domingo, J. L., & Colomina, M. T., Neurotoxicology and teratology, 40, 17–27., 2013, https://doi.org/10.1016/j.ntt.2013.08.003
[11] “Developmental Exposure to Decabrominated Diphenyl Ether (BDE-209): Effects on Sperm Oxidative Stress and Chromatin DNA Damage in Mouse Offspring.” Tseng LH, Hsu PC, Lee CW, Tsai SS, Pan MH, Li MH. Environmental Toxicology, vol. 28(7), pp. 380-389, 2013, https://doi.org/10.1002/tox.20729
[12] Note relative à l’état des connaissances sur les usages, les sources d’exposition et la toxicité de plusieurs substances de la famille des polybromés, Anses, 2017
[13] Organophosphate flame retardant TDCPP: A risk factor for renal cancer?, Xuan Zhou, Xiang Zhou, Liangyu Yao, Xu Zhang, Rong Cong, Jiaochen Luan, Tongtong Zhang, Ninghong Song, Chemosphere, Volume 305, 135485, ISSN 0045-6535, 2022, https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2022.135485.
[14] “A review of new and current-use contaminants in the Arctic environment: evidence of long-range transport and indications of bioaccumulation.” Vorkamp, K., & Rigét, F. F, Chemosphere, 111, 379–395. 2014, https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2014.04.019
[15] INERIS, 2012. Données technico-économiques sur les substances chimiques en France : Pentabromodiphényléthers, DRC-12-126866-13678A, 43 p, http://www.ineris.fr/substances/fr/
[16] Évaluation des risques liés à l’exposition aux retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés. Partie 1 – Efficacité contre le risque d’incendie des retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés. Rapport d’expertise collective de l’Anses, Saisine 2011-SA-0132, 2014
[17] “Flame retardants in furniture foam. Benefits and Risks.” Babrauskas V., A. Blum, R. Daly et L. Birnbaum. Fire Safety Science. Proceedings of the tenth international symposium : 265-278. 2011
[18] « Exploration de nouvelles voies pour l’ignifugation des polymères. » Mohamad Matar, Université de Lorraine, 2016