Générations Futures réagit au rapport publié jeudi 24 avril par l’Anses concernant l’identification de signaux issus de l’expertise collective Inserm relative aux effets des pesticides sur la santé humaine.
Ces travaux alertent en particulier sur les effets d’une famille d’insecticides, les pyréthrinoïdes, sur le neurodéveloppement des enfants exposés in utero. Ces substances sont utilisées en agriculture et aussi pour des applications domestiques et dans certains médicaments vétérinaires. Suite à cette alerte, Générations Futures appelle à des mesures fortes, concrètes et rapides.
Les conclusions inquiétantes du groupe de travail de l’Anses
Le groupe de travail (GT) phytopharmacovigilance composé d’experts indépendants extérieurs à l’Anses a réalisé une analyse des résultats des expertises collectives de l’Inserm de 2013 et 2021 dans l’objectif d’identifier des “signaux de phytopharmacovigilance”. En d’autres termes, il s’agissait d’identifier si les produits pesticides toujours utilisés en France sont responsables d’effets indésirables sur la santé humaine devant conduire à des actions de gestion ou d’investigation complémentaires.
Pour attribuer les informations issues des expertises Inserm en tant que “signal” pour la phytopharmacovigilance, les experts du GT ont tenu compte de l’imputabilité de l’effet observé à une exposition aux pesticides, de la gravité de l’effet et de sa récurrence. Les données d’imprégnation de la population française issue d’enquête de Santé Publique France ont également été prises en compte.
Seules les informations concernant des substances actives ou à des familles chimiques de substances qui sont toujours autorisées en Europe ont été évaluées. Parmi les substances étudiées dans les expertises Inserm, seules 9 sont toujours approuvées et ont donc été évaluées par le groupe de travail : glyphosate, captane, pendiméthaline, zirame, dicamba, malathion, 2,4-D, MCPA, deltaméthrine. Hormis le malathion, ces substances sont toujours utilisées en France. Les familles de substances étudiées par l’Inserm et analysées par le groupe d’experts phytopharmacovigilance sont les carbamates, dithiocarbamates, organophosphorés, phénoxyherbicides, pyréthrinoïdes et triazines. Ces familles comportent toutes au moins une substance active encore approuvée.
Plusieurs conclusions très fortes et préoccupantes ressortent de ces travaux.
Quatre alertes majeures identifiées par les experts
Le groupe de travail émet 4 alertes qui “représentent une menace pour la santé des populations humaines et qui nécessitent une réponse adaptée pour les prévenir” selon la terminologie de l’Anses. La principale alerte concerne les troubles du comportement chez les enfants en lien avec une exposition prénatale aux pyréthrinoïdes, une famille d’insecticides comportant notamment la deltaméthrine ou la cypermethrine. Certains pyréthrinoides sont également utilisés pour des usages vétérinaire ou biocides (produits de traitement du bois, insecticides domestiques…).
Les 3 autres alertes portent sur des liens entre une exposition professionnelle à la famille des pesticides organophosphorés et les troubles cognitifs chez l’adulte et les lymphomes non hodgkiniens (LNH) et l’altération des capacités motrices, cognitives et des fonctions sensorielles chez l’enfant en lien avec une exposition prénatale aux pesticides organophosphorés. Cette famille de pesticides est toutefois maintenant très peu utilisée.
Quinze « signaux validés » préoccupants pour la santé
En plus de ces 4 alertes, les experts ont identifié plusieurs “signaux validés” c’est -à -dire des informations “pouvant nécessiter des mesures de gestion dans la perspective de prévenir la survenue d’une situation de risque sanitaire à terme”.
Parmi ces signaux validés figurent les risques de LNH suite à une exposition professionnelle aux familles carbamates, triazines,et organophosphorés ainsi qu’à 2 herbicides très utilisés en France : le glyphosate qu’on ne présente plus et le 2’4-D, un herbicide de la famille des “phénoxyherbicides”.
Également identifiées, l’atteinte spermatique dans la population générale en lien avec l’exposition aux pyrethrinoïdes, des sarcomes (un type de cancer) après exposition professionnelle aux phénoxyherbicides et chlorophénols etc.
Au total, 15 “signaux validés” sont identifiés.
Suite à cette analyse, le groupe de travail conclut que “les réglementations et mesures de prévention […] n’ont pas permis de protéger efficacement la santé des professionnels et celle de leurs familles”. Selon eux “il existe pour la population générale des risques pour la santé de l’enfant en association avec l’exposition aux pesticides pendant la grossesse, en particulier aux insecticides dont un certain nombre ont un usage biocide/domestique”
Les experts du GT constatent également un manque de connaissance globale relative aux effets des pesticides sur la santé des enfants des professionnels exposés, la biosurveillance de la population générale ainsi que sur l’impact d’une exposition aux pesticides via l’alimentation.
Enfin, ces travaux mettent en lumière le décalage “notable” entre les résultats des expertises collectives Inserm et le classement réglementaire des substances selon le règlement CLP.
Les recommandations prudentes de l’Anses
Face à ces conclusions du GT phytopharmacovigilance, l’Anses émet plusieurs recommandations qui sont selon Générations Futures souvent floues et dont l’impact concret reste très incertain :
De manière générale :
- L’importance d’une mise à jour régulière des évaluations de risque “selon une périodicité adaptée” est rappelée sans toutefois préciser la signification de cette formulation. L’Anses demande à ce que plus de moyens soient alloués à l’échelon européen pour éviter les retards dans les évaluations des substances actives, conduisant souvent à prolonger les autorisations de plusieurs années.
- Il est selon l’Anses “fondamental” que les méthodologies d’évaluation des pesticides, harmonisées au niveau européen, évoluent et l’agence souhaite contribuer à ces évolutions auprès de l’EFSA. Toutefois nous savons que l’évolution de ces méthodologies est très longue et incertaine quant à leur réel impact pour une meilleure évaluation des pesticides.
- Toute la littérature scientifique disponible doit être exploitée “quand elle est pertinente”. Pour faciliter l’interprétation des données épidémiologiques, l’Anses recommande que l’accès aux données d’utilisation des pesticides soit rendu effectivement possible. En effet, à l’heure actuelle, uniquement des données relatives aux achats et ventes des pesticides sont accessibles, mais pas les données d’utilisation à la parcelle, rendant la caractérisation précise de l’exposition des populations quasi impossible.
- l’utilisation des pesticides doit être limitée au “strict nécessaire”.
Sur les substances ou famille de substances ciblées par le rapport du GT :
- Concernant les organophosphorés et plus spécifiquement le malathion, l’Anses va partager l’alerte à l’EFSA car il est toujours autorisé dans l’Union Européenne.
- Concernant les pyréthrinoïdes, l’Anses recommande de déterminer les contributions respectives des usages agricoles et biocides pour mettre en place des mesures de prévention.
- Des fiches de phytopharmacovigilance vont être rédigées pour la deltaméthrine et le 2,4-D
- Enfin, concernant le signal validé sur le glyphosate, l’Anses maintient sa position, qui est aussi celle de l’EFSA et de l’ECHA, affirmant que les éléments mentionnés dans l’expertise de l’Inserm et qui sont à l’origine du signal émis par le GT ont bien été pris en compte dans l’évaluation. Position très paradoxale après avoir formulé la recommandation d’exploiter “toute la littérature disponible”
De manière générale, l’Anses dit “prendre acte” des conclusions du GT sans toutefois remettre clairement en cause les dispositions réglementaires ayant conduit à l’autorisation de ces pesticides. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur pour éviter que la population soit exposée à ces substances dangereuses.
Les demandes de Générations Futures pour une protection efficace des populations
Ce rapport d’expertise met une nouvelle fois en exergue le décalage entre les conclusions des évaluations réglementaires qui conduisent à autoriser ces produits car jugés “sûrs”, et les effets qui apparaissent en condition réelle d’utilisation. Nous notons des formulations prudentes de la part de l’Anses suggérant que l’évaluation a priori (avant la mise sur le marché) des pesticides permet de garantir uniquement “le respect de critères d’innocuité fixés dans la législation européenne” mais que les méthodologies utilisées ne permettent pas de déceler tous les phénomènes “sur les masses d’eau, eaux échelles populationnelles, écosystémiques…” Comme l’écrit l’Anses, l’enjeu des évaluations a priori est de “limiter les impacts des produits dont la toxicité est réelle”. Ces alertes de phytopharmacovigilance montrent que ces impacts ne sont malheureusement pas limités mais au contraire très préoccupants.
Générations Futures salue le travail mené par le groupe de travail phytopharmacovigilance de l’Anses. Ces travaux mettent en évidence des signaux préoccupants sur des substances encore largement utilisées en France comme le glyphosate, le 2,4-D ou la deltaméthrine. Ils confirment également que les insecticides pyréthrinoïdes utilisés en agriculture mais aussi pour des usages domestiques ou vétérinaires présentent des risques pour le neurodéveloppement des enfants exposés in utero.
Suite à cette alerte, Générations Futures soutient et salue la position de l’Anses appelant à rendre disponible les données relatives à l’utilisation des pesticides. Toutefois, sur les autres points, nous appelons à des mesures plus fortes que celles proposées par l’Anses :
- Tous les produits (phytopharmaceutiques biocides ou vétérinaires) à base de deltaméthrine et plus généralement à base d’une substance pyréthrinoïdes doivent être retirés du marché dans un délai court, même si la part de l’exposition attribuée aux différents usages n’est pas encore bien connue.
- Les autorisations de mise sur le marché des produits à base de 2,4-D doivent être ré-évalués à la lumière du “signal validé” mis en évidence par le GT. La réalisation d’une fiche de phytopharmacovgilance, bien que nécessaire, est à elle seule insuffisante.
- Concernant le glyphosate, Générations Futures prend acte de la position de l’Anses, inchangée qui continue d’affirmer que toutes les connaissances disponibles sur cette substance ont été prises en compte dans l’évaluation. Le dossier est maintenant entre les mains de la justice européenne.
- Enfin, de manière générale et pour appuyer la recommandation de l’Anses de limiter l’usage des pesticides “au strict nécessaire”, nous continuons de demander l’utilisation d’un indicateur d’usage pertinent, le NODU, dans le cadre du plan Ecophyto
« Si nous saluons le travail mené par le groupe de travail phytopharmacovigilance de l’Anses, nous regrettons que certaines mesures fortes ne soient pas reprises par l’Agence. Alors que les alertes sont nombreuses, on ne peut plus se contenter d’alertes sans mesures concrètes et rapides. » déclare Pauline Cervan, toxicologue chez Générations Futures. « Le cas des pyréthrinoïdes est particulièrement emblématique. Les données scientifiques sont désormais irréfutables quant à leurs effets néfastes sur le développement neurologique. La vulnérabilité spécifique pendant la grossesse est particulièrement alarmante : même à faibles doses, ces substances perturbent des mécanismes biologiques cruciaux pour le développement cérébral de l’enfant. L’exposition simultanée par voies multiples – alimentaire, domestique et environnementale – aggrave considérablement ces risques et rend indispensable leur interdiction immédiate. » conclut-elle.
« Ce rapport souligne cruellement l’écart persistant entre les connaissances scientifiques indépendantes et les décisions réglementaires prises en matière de pesticides. Tant que les autorités n’appliqueront pas pleinement le principe de précaution, la santé des populations restera menacée. » déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures. « À l’heure où certains cherchent à démanteler toute ambition réelle de réduction des pesticides et militent pour le retour de substances dangereuses, comme dans la proposition de loi Duplomb qui sera débattue fin mai à l’Assemblée nationale, ce rapport d’experts doit servir de boussole à nos décideurs et les convaincre de s’opposer fermement à tout affaiblissement de la réglementation sur les pesticides. » conclut-il.