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FNSEA – JA : une proposition de loi pour attaquer l’environnement

La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs viennent de dévoiler une proposition de loi qui pourrait marquer un tournant inquiétant pour la protection de l’environnement et de la santé publique. Sous couvert de défendre la souveraineté alimentaire, ce texte est en réalité consacré à la primauté de l’agriculture intensive sur la santé publique, la biodiversité et les ressources en eau.

En réclamant la réintroduction des néonicotinoïdes (ces insecticides dits “tueurs d’abeilles”), en affaiblissant l’indépendance de l’ANSES (l’agence sanitaire française qui évalue notamment les pesticides) et en érodant les protections environnementales, cette proposition de loi, qui pourrait trouver un écho sur les bancs des élus de droite ou du camp présidentiel, menace de freiner toute transition vers un modèle agricole durable.

Générations Futures tire la sonnette d’alarme et appelle à une mobilisation associative et politique contre cette offensive rétrograde.

Contexte

C’est la rentrée, et quoi de mieux qu’une conférence de presse de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs (JA) tenue le 29 août pour commencer et reprendre les hostilités à l’égard de l’environnement ? A cette occasion, une proposition de loi intitulée, “Entreprendre en agriculture” et co-rédigée par les deux syndicats majoritaires, a été présentée. 

Alors que les discussions sur la loi d’orientation agricole (LOA) ont été suspendues au Sénat après la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier, ces dernières devraient reprendre prochainement et nous ne doutons malheureusement pas que des sénateurs pro agrochimie s’inspireront des propositions de ces syndicats pour leurs amendements. Générations Futures fait un rapide tour  de la loi proposée par ces syndicats et il y a de quoi s’inquiéter…

La perte de souveraineté alimentaire : l’épouvantail à agiter pour refuser la transition de l’agriculture

C’est le thème fort du titre Ier de cette proposition de loi : “réaffirmer et conforter notre souveraineté alimentaire”. C’est ainsi que pour ces syndicats “accorder la reconnaissance d’intérêt général majeur à la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture, permettra à notre pays de sécuriser durablement son approvisionnement alimentaire et donc sa souveraineté, son indépendance.” 

Selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB) , 84 % des espèces végétales cultivées en Europe dépendent directement des insectes pollinisateurs et “en France, la part de la production végétale destinée à l’alimentation humaine que l’on peut attribuer à l’action des insectes pollinisateurs représente une valeur comprise entre 2,3 milliards et 5,3 milliards d’euros”. Pourtant, et alors que le rôle de l’agriculture intensive est connu dans l’érosion de la biodiversité, et en particulier des pollinisateurs, le terme de “biodiversité” n’apparaît qu’une seule fois dans les 75 pages de dossier

L’article 2 de cette proposition de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport au Parlement sur “l’état de la souveraineté alimentaire de la France, qui devra intégrer des indicateurs de performance (…)”.

Cette demande fait partie de celles issues du mouvement des agriculteurs de ce début d’année et à laquelle le Gouvernement a déjà répondu. Là encore, les indicateurs choisis par le Gouvernement questionnent. Parmi ces indicateurs, on retrouve le nombre de substances actives pesticides disponibles mais rien sur l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs. Or, comme le précise le rapport du Gouvernement lui-même : “on n’observe pas à ce stade de corrélation forte entre l’interdiction de certains produits phytosanitaires et l’évolution des rendements.” (p.5)

Par ailleurs, le nombre de substances actives autorisées ne dit rien de l’utilisation qui en est faite et des quantités vendues au sein du pays. L’indicateur actuel apporte ainsi un élément de comparaison sur les conditions des pratiques agricoles entre les Etats-membres et non pas des informations pertinentes pour évaluer l’état de la souveraineté alimentaire et agricole de la France. En se basant sur cet indicateur, la France est le 4e pays de l’Union européenne disposant le plus de substances actives, selon le rapport du Gouvernement. Plus insidieux, cet indicateur pourrait sous-entendre que disposer du plus de substances actives serait un signe de souveraineté ce qui est absurde et inquiétant.

Concilier les usages de l’eau (ou pas)

Dans le descriptif du titre II “accompagner les transitions et pouvoir produire” de la proposition de loi, il est indiqué qu’ “il convient, en ce sens, de repenser la nécessaire conciliation de l’usage de l’eau (…)” (p.7).

Ainsi, l’article 1 de cette même proposition de loi souhaite amender l’article L.211-1 pour faire de l’agriculture une priorité de la gestion équilibrée de la ressource en eau et un secteur d’activité au-dessus des autres. L’agriculture serait donc prioritaire pour l’accès à la ressource : au-dessus “des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l’industrie, de la production d’énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.Si l’importance de l’agriculture n’est pas à nier, rien ne justifie un tel traitement de faveur. 

L’article 9, intitulé « concilier la préservation de l’eau et la protection de l’agriculture », vise à affaiblir les mesures des plans d’actions destinés à prévenir ou réduire la pollution, notamment pour les points de prélèvement d’eau potable sensibles (article L. 211-11-1 du code de l’environnement). Les points dépassent souvent les seuils de pollution fixés conformément aux dispositions du code de la santé publique. En résumé, la FNSEA souhaite retirer aux autorités le pouvoir de limiter voire d’interdire l’occupation des sols ou l’utilisation des intrants agricoles pour protéger ces points de prélèvement, même si la qualité de l’eau y est déjà compromise.

Ces propositions sont une menace pour assurer l’approvisionnement en eau potable de qualité à l’ensemble des citoyens. Selon le Bilan environnemental de la France 2023, “sur la période 1980-2022, environ 13 000 captages d’eau potable ont été fermés. La première cause d’abandon sur cette période incombe à la dégradation de la qualité de la ressource en eau (32,3 % des situations).” Parmi ces situations, 40,8% sont attribuées à une pollution d’origine agricole (nitrates et/ou pesticides). 

En 2022, ce sont près de 10,26 millions d’habitants qui ont été alimentés par une eau non conforme à cause des pesticides, selon les données du ministère de la santé. Cet été même, la Commission européenne a lancé une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la France pour non-respect de la Directive eau potable “lui reprochant des concentrations trop élevées de nitrates”. 

L’ambition de la FNSEA et des JA n’est pas de concilier l’usage de l’eau avec les pratiques agricoles mais bien de conserver un droit à polluer pour l’agriculture conventionnelle intensive au mépris de l’intérêt général.

Subordonner la science aux intérêts économiques

Comme si cela ne suffisait pas, la FNSEA et les JA veulent que les “plans, programmes, schémas, documents d’orientations, de stratégie et d’études scientifiques” ayant une incidence sur l’agriculture fassent l’objet d’une étude d’impact. Cette stratégie des études d’impacts obligatoires est bien connue et consiste à retarder toutes politiques publiques dérangeants les intérêts privés comme ici l’agriculture. Bien que la liste doive être déterminée par décret, cela suscite des interrogations sur le devenir de politiques publiques déjà existantes comme le plan Ecophyto, la Stratégie Nationale Biodiversité, ou encore l’intérêt d’études menée par la recherche publique (CNRS, INSERM, INRAE, Santé Publique France, etc.).

Cette proposition de loi entend aussi  ajouter la “protection de l’agriculture” aux missions de l’ANSES fixées à l’article L.1313-1 du code de la santé publique. L’ANSES est un établissement public administratif, dont l’objectif est de s’assurer de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et au travail, et non pas de protéger un secteur d’activités en particulier ce qui pourrait compromettre son indépendance, en la liant à la protection d’intérêts privés. 

La FNSEA et les JA souhaitent que cette dernière prenne “en compte dans ses évaluations et dans les conditions d’utilisation des produits les dernières technologies disponibles, notamment les meilleures techniques de réduction de la dérive, les réductions de dose et l’agriculture de précision.” Surprise :  l’utilisation de buses anti-dérive est déjà prise en compte (et permet de diminuer de moitié les valeurs d’exposition dues à la dérive), tout comme la réduction des doses. Les évaluations de l’ANSES suivent des lignes directrices et des modèles européens élaborés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). A ce propos, concernant l’évaluation du risque pour les riverains vivant près de vergers ou vignes, une récente étude réalisée par les géants de l’agrochimie suggère que les modèles de l’EFSA sous-évalueraient l’exposition dans certains cas.. Par ailleurs, cela n’est pas la seule faille de l’évaluation de l’exposition et des risques des riverains des zones cultivées (cf. notre rapport). 

Malgré tout cela, la FNSEA et les JA souhaitent mettre fin à toute indépendance de l’ANSES en la plaçant sous la coupe du ministre de l’Agriculture, en octroyant à celui-ci la capacité de s’opposer aux décisions du directeur général de l’ANSES d’interdire la mise sur le marché de produits pesticides, notamment s’il n’y a pas d’alternatives économiquement et techniquement viables. Adopter une telle mesure signifierait que les intérêts économiques de ces acteurs des passeraient avant la protection de la santé et de l’environnement ce qui est totalement inacceptable. Actuellement, le ministre de l’Agriculture peut déjà autoriser certaines utilisations ou extensions d’usage mais seulement à titre dérogatoire et dans un cadre défini par la loi.

“Inquiets” de la représentation des agriculteurs au sein du comité de suivi des autorisations de mise sur le marché des pesticides (AMM), les deux syndicats demandent à ce que les représentants des principales filières agricoles françaises y siègent. Générations Futures tient à les rassurer, en leur rappelant qu’en application du décret n° 2015-780 du 29 juin 2015 relatif à la composition du comité de suivi des AMM, ce dernier est composé “des personnalités reconnues pour leurs connaissances et compétences en matière de produits mentionnés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime” (les pesticides), y compris des personnalités qualifiées “ayant, en tant qu‘utilisateur professionnel de produits phytopharmaceutiques et adjuvants, matières fertilisantes et supports de culture, ou utilisateur de produits biocides, une connaissance reconnue dans l’utilisation de ces produits, dans le domaine agricole.” (arrêté du 29 mars 2022)

Surtransposition et pesticides : toujours la même rengaine 

Si les deux syndicats désirent une “véritable politique de lutte contre les surtranspositions” (p.7), il faut noter que, comme l’a rappelé à plusieurs reprises la ministre démissionnaire Agnès-Pannier Runacher, déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, les néonicotinoïdes sont le seul cas que l’on pourrait juger de surtransposition. Ces insecticides extrêmement dangereux ont fait l’objet d’une interdiction nationale antérieurement à une décision européenne. Par ailleurs cette interdiction s’appuie sur l’avis des scientifiques, en particulier de la Task Force sur les pesticides systémiques (TFSP) qui regroupe des chercheurs indépendants de plus de 24 pays et qui relève que : « nos travaux décrivent les caractéristiques particulières de ces pesticides et leurs graves impacts sur l’environnement, sur la biodiversité et sur la santé publique ». Néanmoins, c’est bien leur réautorisation que propose la FNSEA et les JA à l’article 10 de leur proposition de loi irresponsable. 

Pour poursuivre la robotisation de l’agriculture et faciliter son recours aux pesticides, les syndicats proposent l’autorisation de la  pulvérisation par drone, lorsque cela  présente “des avantages manifestes pour la santé humaine et l’environnement par rapport aux applications terrestres sur les parcelles en pente, les cultures submergées, les bananeraies, et les vignes” et d’ouvrir des programmes d’expérimentation pour d’autres types de culture. Or, une note de l’ANSES sur ce sujet des drones conclut sur la nécessité de poursuivre les expérimentations pour toutes les cultures et de consolider la méthodologie des essais. Sur les 74 essais menés toute culture confondue : 5 sont exploitables parmi les 12 menés par la Chambre d’Agriculture de l’Ardèche sur la vigne ; 1 seul essai mené par Cymdrones sur la vigne et visant à tester l’efficacité biologique est valide ; le seul essai mené sur les bananeraies est partiellement valide ; tous les autres, soit 67 essais sur les 74 attestent d’un manque d’informations sur le protocole ou d’une absence de notation ou n’offrent pas de comparaison entre les modalités testés

Les syndicats semblent également juger utile de supprimer le conseil stratégique (art.L254-6-2 CRPM) alors que celui : 

  • a pour objet de fournir aux décideurs des entreprises utilisatrices de produits phytopharmaceutiques non soumises à l’un des agréments prévus à l’article L. 254-1, les éléments leur permettant de définir une stratégie pour la protection des végétaux (..)“
  • “est fondé sur un diagnostic comportant une analyse des spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales des espaces concernés. Pour les exploitations agricoles, ce diagnostic prend également en compte l’organisation et la situation économique de l’exploitation et comporte une analyse des moyens humains et matériels disponibles, ainsi que des cultures et des précédents culturaux et de l’évolution des pratiques phytosanitaires.“
  • n’est pas requis “lorsque l’exploitation agricole (…) est engagée, pour la totalité des surfaces d’exploitation, dans une démarche ou une pratique ayant des incidences favorables sur la réduction de l’usage et des impacts des produits phytopharmaceutiques et figurant sur une liste établie (…) .” 

Il s’agit ainsi d’un signe clair que ces acteurs du monde agricole ne souhaitent pas engager l’agriculture dans une réduction de l’utilisation des pesticides, bien au contraire !

Ceci n’est qu’un aperçu du contenu de cette proposition de loi rétrograde qui vise clairement à lever toute protection de l’environnement et de la santé publique au bénéfice de l’usage facilité des pesticides et d’un modèle agricole non durable.. Nous n’avons traité qu’une partie de certains articles (articles 1, 2, 9 et 10) tant les critiques à faire sur l’ensemble du texte sont nombreuses.

Face à l’irresponsabilité de ces acteurs au regard de l’effondrement de la biodiversité et de la protection des ressources en eau potable et des milieux, nous appelons l’ensemble des associations œuvrant dans ce domaine et la classe politique à s’opposer à cette proposition de loi faisant fi de toute considération scientifique et ignorant l’intérêt générale. 

Générations Futures utilisera tous les moyens légaux à sa disposition pour mettre en échec cette proposition de Loi d’un autre temps, néfaste tant pour l’humain que pour l’ensemble du vivant.

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