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Métabolites du S-métolachlore : comment l’Anses fait disparaitre artificiellement la quasi-totalité des situations de non-conformité de l’eau potable liées à l’ESA métolachlore

Générations Futures dénonce une méthode d’évaluation qui ignore le principe de précaution

Selon les données du Ministère de la Santé pour l’année 2020[1], 1 640 318 personnes en France ont été concernées par des non conformités de l’eau potable liées à la présence d’un métabolite du S-métolachlore (un herbicide utilisé notamment en grande culture), l’ESA-metolachlore. Toujours selon le ministère, la présence d’ESA Métolachlore dans l’eau potable était responsable en 2020 de 51 % des cas de non conformités des unités de distribution. 75% de la population concernés par ces non conformités l’étaient cette année-là à cause de la présence d’ESA-métolachlore. En clair, l’ESA métolachlore est un des principaux métabolites de pesticide responsables des dépassements des limites de qualité de l’eau potable.

Mais rassurez-vous, ça c’était avant ! Par un remarquable tour de passe passe réalisé par l’ANSES (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale), la teneur minimale en ESA métolachlore pour décréter que l’eau n’est pas conforme vient de passer, le 30 septembre dernier, de 0.1 µg/L à 0.9 µg/L[2] ! Ainsi, selon nos premières estimations issues de l’analyse des données de la base SISE-eaux[3], 97% des eaux distribuées déclarées non conformes suite à un dépassement de la valeur de qualité pour l’ESA métolachlore, redeviendraient « conformes ».

Comment est-ce possible ? On vous explique :

 Petit historique sur la gestion des métabolites de pesticides dans l’eau potable

 La directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine a fixé dès les années 1980 une limite de qualité de 0.1 µg/L pour les pesticides et leurs métabolites.  Cette directive a été reprise en France dans le Code de la Santé Publique. Ainsi, si un pesticide ou un métabolite « pertinent » dépasse cette valeur de 0.1 µg/L, l’eau est déclarée non conforme et des actions doivent être mises en place pour restaurer au plus vite la qualité de l’eau. Jusqu’en 2020, la notion de pertinence n’étant pas clairement définie, tous les métabolites étaient considérés comme « pertinents » par défaut. Pour tous les métabolites, la valeur limite de qualité de 0.1 µg/L s’appliquait donc.

Les très nombreux dépassements de cette valeur de 0.1 µg/L constatés depuis que les métabolites sont mieux recherchés dans l’eau potable ont poussé les autorités à définir précisément ce qu’est un métabolite pertinent. Un métabolite pertinent est donc défini comme étant un métabolite pour lequel « il y a lieu de considérer qu’il pourrait engendrer (lui-même ou ses produits de transformation) un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur » L’Anses a ainsi développé une méthodologie permettant d’évaluer la pertinence des métabolites et identifier les métabolites « pertinents » et les métabolites « non pertinents »[4].

Pour tous les métabolites jugés non pertinents suite à cette évaluation,  la valeur de qualité de 0.1µg/L ne s’applique plus depuis la parution en décembre 2020 d’une instruction de la Direction Générale de la Santé (DGS)[5]. Une autre limite dite de « vigilance » s’applique à la place et a été fixée à 0.9 µg/L. Ainsi, depuis cette instruction de la DGS, l’eau est toujours considérée comme conforme lorsque des métabolites dits « non pertinents » dépassent la valeur de 0.1 µg/L sans dépasser 0.9 µg/L (cf. schéma explicatif en annexe de ce document). Une partie du problème lié aux métabolites dans l’eau potable a ainsi été artificiellement éliminée.

C’est exactement ce qu’il vient de se passer pour 2 métabolites du pesticide S-métolachlore, l’ESA métolachlore et le NOA métolachlore. Un avis de l’Anses a été publié le 30 septembre 2022[6], en catimini, dans lequel les experts ont ré-évalué la pertinence de ces métabolites et les considèrent maintenant comme « non pertinents ».

 Les conséquences de ce déclassement de l’ESA-métolachlore de pertinent à non pertinent sont considérables :

  • Comme nous l’avons vu, l’ESA métolachlore est un des métabolites les plus retrouvés dans l’eau potable. La majorité des eaux déclarées non conformes en 2020 l’étaient à cause de l’ESA métolachlore. En considérant maintenant ce métabolite comme non pertinents, les cas de non conformités de l’eau potable vont considérablement diminuer. Selon notre analyse de la base de donnée SISE-EAU pour l’année 2020, 1752 analyses de l’eau distribuée se sont avérées au-dessus de la norme de 0.1 µg/L pour l’ESA métolachlore, parmi lesquels seuls 54 étaient au-dessus de la nouvelle norme de 0.9 µg/L valable pour l’ESA métolachlore.
  • Ce déclassement en tant que non pertinent a aussi des conséquences pour la gestion des eaux brutes (eaux souterraines ou de surface) utilisées pour la production d’eau potable. Dans ces eaux brutes, les normes de qualité de 2µg/L ne s’applique plus pour les métabolites non pertinents. Ainsi, si une eau brute contient de l’ESA métolachlore à une teneur supérieure à 2 µg/L, elle pourra toujours être utilisée pour la production de l’eau potable sans qu’une demande d’autorisation d’utilisation soit faite auprès de l’Anses, comme exigé pour les métabolites pertinents.

Mais alors comment l’Anses procède pour évaluer la pertinence des métabolites ? La DGS a qualifié la méthode de l’Anses « d’expertise scientifique robuste ». De quoi nous rassurer sur la fiabilité de la méthode ! Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce que cette évaluation est basée sur des études de toxicologie ? Le principe de précaution est-il appliqué ?

Pour évaluer la pertinence des métabolites, les experts de l’Anses vont regarder plusieurs données concernant leur toxicité.

En premier lieu, le potentiel génotoxique est évalué. Pour cette évaluation, l’Anses applique le principe de précaution en considérant qu’un métabolite est pertinent lorsqu’il manque des données de génotoxicité ou lorsqu’il y a un doute sur les données existantes. Ainsi le métabolite ESA métolachlore était considéré jusqu’alors comme pertinents car les données existantes, provenant exclusivement des industriels, montraient des résultats « équivoques » et avaient trop de lacunes dans leur protocole. De nouvelles données ont été demandées et soumises par Syngenta dans le cadre de la réévaluation du dossier de mise sur le marché. Avec ces nouvelles données datées de novembre 2021 l’Anses considère que les préoccupations principales des anciennes études sont « levées ». Ainsi, les métabolites ne sont plus considérés comme pertinents car il n’y aurait plus de doute sur le fait qu’ils ne sont pas génotoxiques.

Les autres points que l’Anses évalue pour juger de la pertinence d’un métabolite sont la cancérogénicité, la reprotoxicité et le potentiel perturbateur endocrinien. Pour ces points, exit le principe de précaution lorsqu’aucune donnée n’est disponible ! Ici, contrairement à l’approche utilisée pour évaluer la génotoxicité, les métabolites sont considérés comme non pertinents alors que les données sont inexistantes ! Autrement dit, on ne sait rien de leur potentiels effets sur le long terme mais on les considère non pertinents malgré tout. Très pratique pour limiter les dépassements des normes de qualité mais pas très protecteur pour les populations qui sont exposées à ces substances quotidiennement et depuis plusieurs années pour certains !

Cette approche non protectrice n’est pas remise en cause par les experts de l’Anses alors même qu’il existe de nombreuses alertes sur le potentiel cancérigène et reprotoxique de la molécule mère, le S-métolachlore ! En effet, l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) vient de classer le S-métolachlore comme étant suspecté cancérigène[7]. Or, la réglementation sur la mise sur le marché des pesticides exige que lorsqu’une substance active est suspectée cancérigène, il est obligatoire de montrer, par des études, que les métabolites ne le sont pas eux-mêmes. Pour autant, ce classement ne pose aucun doute ni problème aux experts de l’Anses qui écrivent : « L’adoption de cette conclusion à l’issue de la procédure de réévaluation de la substance active ne justifierait pas que le métabolite soit classé pertinent ».

Ainsi, alors qu’il n’y a pas de données sur les métabolites et alors que la substance mère est suspectée cancérigène, l’Anses affirme quand même « qu’il n’ y a pas lieu de considérer qu’ils pourraient engendrer un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur ».

Voilà en quoi consiste l’ « expertise scientifique robuste » des experts de l’Anses que nous dénonçons avec fermeté aujourd’hui ! Alors que le classement du S-métolachlore en tant que cancérigène suspecté aurait dû conduire à un renforcement des mesures de surveillance et de protection des populations exposées à son métabolite, on constate au contraire un affaiblissement des mesures prises par les autorités.

Nous rappelons qu’une valeur sanitaire a été établie par l’Anses pour l’ESA métolachlore à 510 µg/L. Cependant, comme détaillé dans notre précédent rapport[8], cette valeur est basée sur un nombre très limité d’étude et aucune étude chronique. La fiabilité de cette valeur pose donc également question.

Ainsi, le principe de précaution n’est pas vraiment de mise pour l’évaluation des métabolites de pesticide. Il est bien loin l’esprit initial de la directive européenne, qui rappelons-le, avait fixé cette valeur limite de 0.1 µg/L dans un objectif de protection de la ressource. L’instruction de la DGS de décembre 2020 le rappelle pourtant bien : «  Le législateur a considéré que ces molécules ne devaient pas être présentes dans l’EDCH. C’est la raison pour laquelle il a fixé la limite de qualité à 0,1 µg/L ce qui équivalait à une « absence dans l’eau » de ces contaminants. […] Cette valeur unique pour l’EDCH permettrait de réduire globalement l’utilisation des pesticides et donc indirectement de protéger les ressources en eau. »

 Comme on le voit, le dossier des métabolites de pesticides dans l’eau n’a pas fini de faire parler de lui. Générations Futures compte bien le suivre de près et d’agir – juridiquement si il le faut- pour mettre fin à une situation inacceptable d’un point de vue sanitaire et environnemental.


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