MAJ : le rapport a été officiellement publié le 22/11/24 sur le site de l’IGAS et est disponible ici
Dans un rapport explosif diffusé par le média Contexte, les inspections générales des ministères de la Santé (Igas), l’Agriculture (CGAAER) et de la Transition écologique (IGEDD) constatent “l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides” et proposent des mesures préventives urgentes et contraignantes.
Le constat fait par les inspections générales confirme le bien fondé des alertes de Générations Futures sur la question des métabolites. De nombreuses recommandations émises dans ce rapport rejoignent nos revendications.
Le gouvernement Borne a confié, le 20 novembre 2023, au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) une mission relative à la gestion des non-conformités des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) pour les pesticides et leurs métabolites. Générations Futures a été auditionné dans le cadre de cette mission le 19 mars 2024.
A la suite de leurs travaux, les inspections ont produit un rapport très dense, finalisé en juin dernier et publié hier, le 14 novembre par Contexte. Nous présentons ici une première analyse et les principaux éléments que nous en retirons:
1/ Un constat accablant
Les inspections générales ne mâchent pas leur mot pour décrire la La préservation de la qualité des ressources en eau est en échec pour ce qui concerne les pesticides”. C’est à notre connaissance la première fois qu’un tel constat sans détour est posé. Le rapport rappelle que la surveillance des eaux brutes et distribuées “révèlent des concentrations élevées de pesticides et de métabolites”.
Concernant les eaux distribuées, le dernier bilan annuel disponible du ministère de la santé a montré des dépassements des limites de qualité pendant plus d’un mois pour cinq métabolites concernant un nombre significatif de personnes : la chloridazone desphényl et le métolachlore ESA (environ quatre millions de personnes chacune), la chloridazone méthyl-desphényl (1,8 million), l’atrazine déséthyl déisopropyl (240 000) et l’atrazine déséthyl (200 000).
Pour compléter cette analyse, la mission a analysé les données de SISE-Eaux pour les années 2023-2024. Les résultats sont dans la lignée de ceux des années précédentes:
- Pour la chloridazone desphényl, un quart des départements, situés dans la partie nord de la France, connaissent, à des degrés divers, des dépassements de la limite réglementaire de 0,1 µg/l.
- Pour le chlorothalonil R471811, 40 départements situés majoritairement dans la moitié Nord de la France présentent des concentrations supérieures au seuil de 0,9 µg/l sur au moins une installation de production d’EDCH. Des concentrations supérieures à 3 µg/l ont été relevées dans 9 départements : l’Aisne, le Calvados, le Seine-Maritime, l’Oise, la Marne, la Seine-et-Marne, l’Orne, l’Eure-et-Loir et la Vienne
2/ Une surveillance qui doit être améliorée
Alors que la situation est déjà critique, la mission estime que la surveillance pourrait encore être améliorée. Les inspections générales constatent “une grande hétérogénéité du suivi des pesticides et métabolites” et estiment donc nécessaire de fixer “un socle minimum d’exigences pour la surveillance réalisée par les personnes responsables de la production et distribution de l’eau (PRPDE)” et une liste socle de substances à inclure dans le contrôle sanitaire réalisé par les Agences Régionales de Santé (ARS), à compléter au niveau régional en fonction des spécificités de chaque territoire.
Afin de pallier le manque d’analyse dû au manque d’étalon analytique, les inspections préconisent la mise à disposition des étalons d’analyse par les industriels dès le dépôt d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Une mesure que nous demandons depuis plusieurs années déjà.
Générations Futures rappelle que les mesures proposées par les inspections pour améliorer sont absolument nécessaires mais doivent être complétées par l’inclusion de nouveaux métabolites, non encore suivis et pourtant ayant de forte probabilité d’être présents dans les eaux brutes et potables, comme nous l’avons montré dans notre récent rapport.
3/ Une gestion des cas de non conformités problématiques
Le rapport met en avant les difficultés auxquelles sont confrontés les différents acteurs en cas de non conformité, lorsque les métabolites sont détectés et quantifiés dans l’eau potable à des teneurs supérieures à la limite réglementaire de 0.1 µg/L. Selon Générations Futures, ces difficultés de gestion sont dûes à une seule et même cause : le manque d’études sur les métabolites, ce qui conduit à une absence de valeurs sanitaires pour la plupart d’entre eux et l’absence de connaissance sur les risques liés la présence simultanée de plusieurs substances. Pour pallier cette situation, le rapport recommande que les valeurs toxicologiques de référence pour les métabolites soient établies sous l’égide de l’EFSA, en même temps que l’autorisation de la substance. Toutefois, Générations Futures estime que pour que cette proposition soit mise en œuvre, l’évaluation de la toxicité des métabolites lors de l’autorisation des substances devrait être bien plus complète qu’elle ne l’est actuellement.
- En plus de ces difficultés de gestion, la mission note que, même lorsque des valeurs sanitaires transitoires sont dépassées, indiquant un possible risque sanitaire, les restrictions de la consommation de l’eau ne sont plus systématiques, d’après une instruction de la DGS. Les inspections considèrent cette instruction comme une “fuite en avant rendue inéluctable par des procédures d’approbation des substances actives insuffisamment protectrices et des politiques de protection des captages et de prévention qui ne sont pas assez ambitieuses au vu des enjeux de préservation de la santé humaine et des milieux”
- Concernant les métabolites de substances interdites, les situations décrites dans ce rapport suggèrent que, le plus souvent, lorsque les métabolites sont détectés, il est déjà trop tard pour agir, renforçant la nécessité d’appliquer des mesures de prévention fortes.
- Enfin, il est noté que “l’information des consommateurs sur les non-conformités, bien qu’obligatoire, est inégale et souvent incomplète”. En particulier, la mission estime indispensable que soit publiée la liste des molécules recherchées. Nous ne pouvons que soutenir cette proposition, ayant déjà été confrontés à la difficulté de savoir quels métabolites sont recherchés.
Également, la méthodologie utilisée pour évaluer la pertinence des métabolites est remise en question. Le rapport pointe des incohérences et “des différences d’appréciations” entre les Etats Membres sur le caractère pertinent d’un métabolite. Nous avions déjà dénoncé ces incohérences entre la méthode européenne utilisée par l’EFSA et celle développée par l’Anses, ayant par exemple conduit le métabolite ESA métolachlore à être considéré pertinent selon l’EFSA mais non pertinent pour l’Anses. Face à ce type de situation, “la mission insiste sur le fait que l’instabilité des conclusions de l’expertise sur la pertinence des métabolites conduit à des mesures de gestion difficiles à comprendre par les consommateurs”.
C’est pourquoi il est proposé d’élaborer dès le premier semestre 2025 “une méthodologie unique d’évaluation de la pertinence d’un métabolite, retenant les prescriptions les plus protectrices des deux guides actuels pour la santé humaine”. Générations Futures soutient cette proposition de bon sens et protectrice vis-à-vis de la santé.
4/ Des mesures curatives trop coûteuses
Le rapport met en avant le coût très important des mesures curatives devant être mises en place lorsque les métabolites sont quantifiés dans l’eau. Le coût de ces mesures a un impact sur le prix de l’eau pour le consommateur variable selon les secteurs géographiques et les contaminations observées. Ainsi, “les départements de l’Aisne (2,55 €/m 3) et du Calvados (2,49 €/m 3), particulièrement affectés par les métabolites de pesticides, présentent d’ores et déjà des prix moyens plus élevés que la moyenne nationale (2,13 €/m 3)”. Pour faciliter la mise en œuvre des mesures curatives, les inspections proposent d’apporter un financement public aux investissements de traitement jusqu’à concurrence de 80 % de subvention, assuré par l’État, l’agence de l’eau et le conseil départemental.
5/ Des mesures préventives ambitieuses proposées
Ayant constaté “l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides”, la mission estime que “la politique de protection des captages est à refonder”. “Sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire”.
En citant l’exemple de l’atrazine, Interdite depuis plus de 20 ans et dont les métabolites figurent pourtant encore parmi les principaux contaminants, les inspections soulignent l’absolue nécessité de mesures préventives urgentes pour éviter que ce type de phénomène se reproduise”
Ainsi, les inspections proposent plusieurs mesures préventives ambitieuses, à mettre en place d’urgence:
- En premier lieu, la mission propose “d’instituer une zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE) et de mettre en place, par arrêté, un programme d’actions avec objectifs et indicateurs de résultats sur toutes les aires de captages en dépassement ou proches des limites de qualité pour les pesticides et leurs métabolites”.
- En cas de non atteinte des objectifs de qualité à l’issue du premier plan, un programme de mesures obligatoires de restriction voire d’interdiction d’usage des produits phytopharmaceutiques sur ces aires doit être mis en place, accompagné d’indemnités compensatoires pour les agriculteurs concernés.
- Les inspections proposent également, de manière urgente, “d’interdire dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) les usages sur les aires de captages d’eaux souterraines des produits phytopharmaceutiques contenant des substances générant des métabolites à risque de migration vers les eaux dans des concentrations supérieures à la limite réglementaire” et d’augmenter les recettes obtenues par la redevance pour pollution diffuse.
- Enfin, afin de réduire la pression phytosanitaire dans les aires d’alimentation des captages, des mesures sont proposées: conversion à l’agriculture biologique, cultures à bas niveau d’intrant, paiements pour services environnementaux spécifiques eau en systèmes de grandes cultures, infrastructures agroécologiques pour limiter les transferts, actions foncières dans les périmètres de protection rapprochée des captages, actions d’animation et de conseil aux agriculteurs (avec un financement lié à des objectifs de résultats).
Générations Futures salue ce travail approfondi et de qualité. Le constat fait par les inspections rejoint la position de Générations Futures sur l’absolue nécessité de prendre des mesures préventives, urgentes et contraignantes visant à réduire, voire interdire l’utilisation des pesticides de synthèse dans les aires d’alimentation des captages. Nous soulignons tout de même la nécessité, pour avoir une vision la plus complète possible de l’état de la contamination des eaux par les pesticides, d’inclure dans la surveillance de nouveaux métabolites non encore suivis et pourtant ayant de forte probabilité d’être présents dans les eaux brutes et potables, aspect absent du rapport des inspections.