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Episode 2: On « ne sait pas protéger les betteraves à sucre de façon totalement bio »?

« Acheter du sucre bio signifie importer du sucre de canne produit aux antipodes » puisqu’on « ne sait pas protéger les betteraves de façon totalement bio » ?

Si on en croit le texte de présentation d’une vidéo de la journaliste Emmanuelle Ducros mise en ligne sur le site de son journal l’Opinion le 12 décembre 2018, « acheter du sucre bio signifie importer du sucre de canne  produit aux antipodes, transporté en produisant du CO2 et cultivé en encourageant la déforestation »… puisqu’on « ne sait pas protéger les betteraves de façon totalement bio ».

La vidéo elle-même est un poil plus nuancée puisqu’elle reconnait qu’il «  y a des expériences en Autriche, en Allemagne et même en France (de culture de betteraves à sucre bio) mais ça reste extrêmement aléatoire et les rendements sont très bas, pas de quoi en faire un produit de grande consommation » La plante est décrite comme un végétal fragile « attaqué par des ravageurs, par des maladies » et l’utilisation de pesticides présentée comme indispensable pour la protéger. Pour la journaliste il s’agit de réfléchir à ce que «  consommer bio veut dire »…« Le cas d’école est assez facile avec le sucre, mais plus globalement le bio est-il meilleur que le conventionnel d’ici produit avec les normes les plus rigoureuses du monde …Ça vaut vraiment le coup de se poser la question. ». Le but est donc clairement de remettre en question, à partir de l’exemple du sucre, les avantages environnementaux de la production bio.

Vérification de ces affirmations :

Affirmation 1 : Nous avons d’abord voulu savoir si il est vrai que « acheter du sucre bio signifie importer du sucre de canne  produit aux antipodes… ». Pour ce faire nous nous sommes rendu dans le magasin bio le plus proche et avons été jeté un coup d’œil au rayon du sucre. Et là, surprise, nous avons pu voir que du sucre de betterave bio, produit en Allemagne, était disponible à la vente (voir ci-dessous)

Le prix au kilo est de 4,73 Euro, soit légèrement moins cher que les sucres de canne en poudre dans le même rayon (à 5,60,  5,20 ou 4,95 Euros par kilo dans le même magasin le même jour)

Cette première affirmation est donc clairement fausse puisse qu’on peut trouver du sucre de betterave bio dans un magasin ordinaire.

Affirmation 2 : L’affirmation selon laquelle «  on  ne sait pas protéger les betteraves de façon totalement bio » est donc par voie de conséquence également totalement fausse puisque la culture biologique de la betterave existe bel et bien comme le prouvent les produits disponibles à l’achat !

Affirmation 3 : la culture biologique de la betterave à sucre serait une production issue d’une « expérience » « extrêmement aléatoire »  qui ne pourrait pas être un produit de grande consommation

Au vu du prix de vente au détail compétitif du sucre de betterave bio par rapport aux sucres de canne et de la diffusion actuelle de ce produit dans le tout réseau bio français il est raisonnable d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’une production issue « d’expériences », «  extrêmement aléatoire » et qui ne pourrait pas être un produit de grande consommation puisque des moyennes surfaces bio le proposent à la vente, mais bien d’une filière en développement économiquement viable. Des milliers d’hectares de betteraves bio sont déjà cultivés en Allemagne et Autriche (on n’est plus dans l’expérimentation) et les freins au développement de cette culture semblent plus tenir de la logistique[1] du traitement des betteraves post récolte que de la culture elle-même (on doit traiter les betteraves bios à part des betteraves conventionnelles dans les sucreries.) Ces freins techniques peuvent être levés soit en utilisant les sucreries classiques avant le traitement des betteraves conventionnelles soit en créant des unités de transformations spécifiques[2] Cette affirmation est donc également fausse.

L’affirmation apparait d’autant plus fausse que l’on voit apparaitre en France depuis 2018 des engagements de grands groupes comme Cristal Union et Tereos pour développer la production de betteraves biologiques afin de répondre à « une demande forte des consommateurs pour des produits bios et locaux »[3] . Pour ces 2 groupes ce sont environ 1700 Hectares de betteraves biologiques qu’il a ainsi été planifié de cultiver en 2019. La filière betteravière bio est d’après les industriels eux-mêmes « une filière française à forte valeur ajoutée ». On est bien loin d’une expérience extrêmement aléatoire !

Affirmation 4 : les rendements de la culture de betteraves bio seraient « très bas »

On apprend, en lisant la presse agricole[4] que le rendement des cultures de betteraves bio était dans des essais français de 2018  de 57t/ha, à comparer aux 80 t/ha en conventionnel dans le même bassin de production, soit 28,75% de moins que le conventionnel seulement. On ne peut pas parler de rendement très bas, mais simplement de rendement plus faible, comme dans d’autres productions bios, en tout cas rien qui empêche la mise en oeuvre d’une production rentable. Production d’autant plus rentable que le cours de la betterave sucrière se situe aux environs de 25 Euros la tonne en conventionnel contre plus de 80 Euros la tonne offerts aux producteurs bios par Cristal Union.en 2018. La rentabilité est « jugée intéressante par les planteurs bios», selon Cristal Union. Cette affirmation est donc fausse également.

Affirmation 5 : la plante serait « fragile » et « attaquée par des ravageurs, par des maladies » (ce qui sous-entend une supposée grande difficulté voir impossibilité à la conduire en bio)

Sans vouloir minimiser la pression des ravageurs ou maladies pouvant affecter cette culture il semble, d’après le groupe TEREOS[5] lui-même, que « le désherbage mécanique est le principal défi de la conduite de la betterave en agriculture biologique ». Les ravageurs et les maladies ne seraient donc pas un facteur limitant en conduite biologique de la betterave sucrière. Cette affirmation est donc pour le moins exagérée et en tout cas fausse par rapport aux difficultés techniques les plus importantes de la culture d’après les professionnels eux-mêmes.

Conclusion :

Cet article et la vidéo liée sont clairement porteurs d’informations fausses qui visent à faire croire que la consommation de sucre bio ne peut se faire que par une consommation de sucre de canne qui serait par nature polluante de par le transport induit et la déforestation liée à sa production (sans d’ailleurs prouver que cette culture de canne bio se fait systématiquement au détriment de la forêt d’ailleurs). La vérification des faits montre clairement que la culture biologique de la betterave est non seulement possible mais en train d’être développée en Europe et en France car la demande du consommateur existe. Au-delà de ce qui n’est qu’un exemple d’après la journaliste, il est clair qu’elle cherche à mettre en cause les qualités environnementales des productions biologiques en général. Il est choquant qu’une journaliste qui prétend « combattre la désinformation », tourne ainsi le dos aux faits dans le but d’alimenter une thèse préconçue ! Alors que le prix du sucre issu de la betterave conventionnelle est au plus bas, cette peinture trompeuse d’une culture rémunératrice pour les producteurs bios (et qui permettra demain à des agriculteurs bios de passer l’ensemble de leurs production en bio)  ne rend pas service à notre agriculture.

[1] https://wikiagri.fr/articles/le-sucre-bio-en-france-un-marche-de-niche-a-organiser/2273

[2] https://www.produire-bio.fr/articles-pratiques/bientot-filiere-betterave-a-sucre-bio-etude-marche-acquisition-de-references-champ/

[3] http://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/sucre-de-betterave-bio-tereos-lance-sa-premiere-campagne-1,8,1165919847.html

[4] https://www.pleinchamp.com/grandes-cultures/actualites/cristal-union-intronise-la-betterave-sucriere-bio

[5] http://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/sucre-de-betterave-bio-tereos-lance-sa-premiere-campagne-1,8,1165919847.html