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Pesticides, qui sont les plus gros consommateurs en Europe ?

Pendant plusieurs décennies, la France a été la principale utilisatrice de pesticides en Europe, avec un tonnage de produits chimiques déversés sur les surfaces agricoles dépassant largement tous les autres producteurs agricoles de l’Union Européenne. La situation commence cependant à changer depuis quelques années, la France étant dépassée par l’Espagne et rattrapée par l’Italie et l’Allemagne.

Il n’y a donc pas de quoi se réjouir. D’autant plus que le tonnage global de pesticides n’est pas l’indicateur le plus pertinent pour mesurer la dépendance aux pesticides. Dans un marché européen interconnecté, la prudence doit rester de mise et les efforts s’intensifier pour en finir avec cette dépendance.

L’Espagne et la France, les plus gros consommateurs de pesticides en Europe

Jusqu’à récemment, la France occupait la triste première place sur le podium des utilisateurs de pesticides européens, avec près de 100000 tonnes de produits “phytosanitaires” vendus chaque année. Aujourd’hui, la consommation française se situe autour de 70000 tonnes et est dépassée par celle de l’Espagne, même si l’Hexagone reste le principal utilisateur d’herbicide. De nombreux facteurs permettent cependant d’expliquer et de relativiser ces chiffres.

Le rôle de la surface agricole utile (SAU) dans la consommation de pesticides

Les records français et espagnols sont principalement dus au fait que ces pays sont les principaux producteurs agricoles d’Europe. Avec un grand territoire et des terres cultivables très étendues, la France, l’Espagne ou encore l’Allemagne ont logiquement recours à plus de pesticides que d’autres pays disposant de plus petites surfaces agricoles. On parle alors de Surface Agricole Utile, et les pays disposant des SAU les plus étendues consomment mécaniquement un plus fort tonnage de pesticides, à techniques agricoles équivalentes.

Pour obtenir une comparaison plus juste entre la consommation des différents pays, la première méthode consiste à rapporter le tonnage de produits chimiques à la SAU du pays. Cela revient à observer combien de pesticides sont déversés pour chaque hectare cultivé. Avec cette méthode de calcul, l’utilisation de pesticides en France se situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne, mais reste deux fois inférieure à celle de la Belgique, des Pays-Bas ou de l’Italie. Cependant, comme nous le verrons plus loin, tous les indicateurs mis en place montrent que la situation en France ne s’améliore pas.

Un modèle agricole qui augmente la dépendance aux pesticides

L’importance des surfaces cultivées ne permet pas, seule, d’expliquer la dépendance de l’agriculture française, espagnole et européenne aux produits phytosanitaires. L’usage intensif de pesticide est intimement lié au modèle agricole productiviste soutenu par les instances politiques, mais aussi par la société de consommation moderne.

  • L’agriculture intensive repose sur la mécanisation du travail et la maximisation de la productivité des terres. Si cela permet de diminuer la masse salariale, cela a aussi pour effet d’augmenter la dépendance aux machines et à la chimie dans les champs et les vergers.
  • Les monocultures de certaines plantes sont fortement encouragées par le modèle de l’agriculture intensive. Ce type d’agriculture est connu pour épuiser les sols et consommer énormément de ressources. Ces cultures sont gourmandes  en eau et reposent par nature sur l’utilisation d’engrais, d’herbicides et d’insecticides de synthèse.
  • La forte consommation de protéines animales explique aussi les taux d’utilisation de pesticides en Europe Occidentale. La monoculture du maïs est destinée dans sa quasi-totalité à la fabrication de grain et de farines pour l’alimentation animale.

La France, comme l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, disposent d’une surface agricole assez grande et d’un climat assez doux pour pouvoir réduire leur dépendance aux pesticides sans pour autant menacer leur production globale. Encourager la diffusion de meilleures méthodes agronomiques visant une plus grande résilience des systèmes de culture, et un soutien politique à l’agriculture biologique, permettrait de diminuer drastiquement la consommation en pesticides des quatre principales puissances agricoles de l’Union.

Pesticides : l’Europe entière sous perfusion

Dans le cadre d’un marché européen ouvert, il est indispensable de ne pas se focaliser simplement sur la situation en France. Les produits achetés dans un pays soucieux de réduire son utilisation de pesticides peuvent parfaitement venir d’un voisin bien moins regardant sur ces questions.

Etat des lieux de la situation européenne

L’Europe est constituée de nations qui n’ont pas les mêmes modes de consommation et de production, ni le même rapport à l’écologie. Depuis vingt ans, certains pays comme le Danemark ou l’Autriche ont réussi à fortement diminuer leur dépendance aux pesticides, notamment grâce à une forte consommation de produits bio. Malheureusement, ces bons élèves voient leurs efforts contrecarrés par d’autres pays qui cherchent à augmenter leur productivité avant tout, notamment à des fins d’exportation.

Les Pays-Bas font ainsi un usage extrêmement intensif de pesticides. Pour compenser un faible ensoleillement, les industriels hollandais de l’agroalimentaire font pousser de nombreux fruits et légumes via des méthodes de mécanisation et une utilisation intensive de produits phytosanitaires. C’est notamment le cas des tomates, concombres, poivrons et piments, cultivés hors-sol, sous-serres, qui font des Pays-Bas les deuxièmes exportateurs mondiaux de produits agricoles !

Alors que l’Espagne était plutôt un bon élève jusqu’au début des années 2000, avec une utilisation moyenne de pesticides, la course à la productivité et à l’exportation en ont fait le premier utilisateur de produit phytosanitaires depuis 2016. Pour l’Espagne, l’agriculture intensive est un enjeu stratégique, le pays comptant exploiter son ensoleillement maximal et ses grandes surfaces agricoles pour devenir un acteur incontournable de la production de fruits et légumes, notamment hors saison et pour l’exportation.

D’autres pays, de bien plus petites dimensions, sont aussi victimes de la spécialisation de leur agriculture qui réclame énormément de chimie. C’est notamment le cas de Chypre mais surtout de Malte, premier utilisateur de pesticides en Europe par rapport à sa SAU. Avec 2,5 fois la dose hollandaise et 7 fois la dose française, le pays dispose d’un triste record qui s’explique par la pratique de la monoculture de la pomme de terres, très gourmande en fongicides.

Un marché interconnecté et un modèle de consommation qu’il convient de changer

Sur le papier, la France se retrouve dans une posture intermédiaire, avec une consommation de pesticide par SAU comparable à celle de l’Allemagne ou encore de la Grèce et du Portugal, et inférieure à celle de l’Italie et de l’Espagne.

Cependant, ces deux derniers pays exportent énormément de produits agricoles vers la France et le reste de l’Europe, notamment des fruits et légumes en hiver. Il est donc primordial de ne pas limiter la lutte contre l’usage de pesticides aux seules frontières nationales. Il faut au contraire l’élargir à l’ensemble de l’UE.

Baisse du tonnage et création du NODU : vers une amélioration de la situation ?

Diminution de la quantité de pesticides utilisées dans certains pays : une fausse bonne nouvelle

En Union Européenne, globalement, de nombreux pays ont réussi à diminuer la quantité de pesticides utilisés, ce qui pourrait laisser penser à une amélioration notable de la situation. C’est notamment le cas de la France qui est passé en quelques années de 100000 tonnes de produits phytosanitaires utilisés chaque année à des chiffres maintenus entre 60000 et 70000 tonnes annuelles aujourd’hui.

Malheureusement, ces diminutions de quantité ne signifient pas forcément la mise en place de bonnes pratiques agricoles et la diminution du nombre de traitements. Lorsque des produits phytosanitaires sont interdits, ils sont en effet souvent remplacés par d’autres pesticides qui peuvent parfois nécessiter de plus faibles doses, sans que leur impact sur l’environnement et la santé ne soit diminué.

Le NODU, un outil plus pertinent qui montre l’étendue du problème

C’est pour cette raison que le Ministère de l’Agriculture français préfère parler de NODU, ou Nombre de Doses Unités. Le NODU permet de mesurer le nombre de traitements d’une culture, indépendamment de la quantité du produit utilisé. Plus en phase avec les réalités environnementales, cet indicateur a été conçu dans le but d’encourager la baisse réelle de l’usage des pesticides.

Mais si la France montre une baisse de la consommation de pesticides en valeur absolue, la prise en compte des NODU présente un bilan bien plus sombre. Depuis la création de cet indicateur en 2009, dans le cadre du plan Écophyto, la consommation de produits phytosanitaires en France a eu tendance à… augmenter. Entre 2014 et 2016, la hausse a ainsi été de près de 12% ! Et la situation est nettement pire dans d’autres pays, notamment l’Espagne et le Portugal, qui ont largement augmenté leur consommation absolue de pesticides, tout en optant pour des produits de plus en plus concentrés en substances actives.

Si la situation est grave elle n’est pas pour autant désespérée. La lutte menée par les associations françaises et européennes doit se poursuivre sur le terrain et sur le plan politique afin de donner une véritable chance à l’agriculture biologique et limiter la consommation et les dégâts des pesticides.