Générations Futures Rechercher Télécharger Email
Je fais un don

Partager

Actualités

Une exposition prénatale à de faibles doses de fongicides impacterait le développement neurologique des nouveau-nés

La neurogenèse est le processus par lequel les cellules souches neurales multipotentes (CSN) prolifèrent puis se différencient en neurones. Chez la souris, ce processus a lieu pendant le développement embryonnaire jusqu’aux premiers jours de la période postnatale et peu de zones neurogènes restent ensuite actives dans le cerveau. Cependant, les altérations des propriétés prolifératives des CSN peuvent modifier considérablement la neurogenèse pendant les stades embryonnaires et la migration consécutive des neurones, ce qui peut entraîner des troubles du développement neurologique.

Récemment, Arendt et ses collègues ont suggéré que pendant la neurogenèse embryonnaire, il y a une fenêtre temporelle où des facteurs endogènes et exogènes peuvent avoir un impact sur ce processus conduisant à des défaillances mitotiques (aneuploïdie, variations des copies de chromosomes, mutations somatiques, …). Il a été proposé que les cellules affectées sont plus sensibles ce qui pourrait être une caractéristique clé de la mort de cellules neuronales dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Dans cette optique, l’hypothèse est que des facteurs exogènes, tels que les polluants environnementaux, peuvent affecter la neurogenèse, en particulier pendant la gestation, ce qui peut conduire à une altération des fonctions neuronales et synaptiques, plus tard dans la vie.

Parmi les polluants proposés, le rôle des pesticides en tant qu’acteurs potentiels de la corruption de la neurogenèse a pris de l’importance. Leur utilisation massive et leur faible biodégradabilité ont conduit à leur libération dans tous les milieux environnementaux (eau, sol, air, alimentation). Cette contamination pernicieuse représente une menace potentielle pour la santé humaine et fait actuellement l’objet de nombreux débats et préoccupations au sein des populations. En effet et de manière non exhaustive, des études rapportent notamment que :

  • les enfants exposés à des niveaux élevés de chlorpyriphos présentaient un élargissement de la surface cérébrale, associé à un amincissement du cortex frontal et pariétal (Rauh et al., 2012),
  • qu’une exposition prénatale au chlorpyrifos (insecticide organophosphoré désormais interdit dans l’UE) était associée à une altération de l’activation cérébrale et à une diminution de l’activité neuronale pendant les tâches des fonctions exécutives (Sagiv et al., 2019),
  • une exposition au DDE, un métabolite du DDT, pendant le premier trimestre de la grossesse, a été associée à une réduction de l’indice de développement psychomoteur (Torres-Sanchez et al, 2007).

Une étude récente s’est elle concentrée sur trois fongicides largement utilisés appartenant à la classe des anilinopyrimidines, à savoir le cyprodinil, le mépanipyrim et le pyriméthanil. Ces fongicides sont largement utilisés pour préserver les cultures, ainsi que pour le stockage à long terme des fruits et légumes. De nombreux rapports ont par le passé établi leur présence dans notre environnement et dans de nombreuses denrées alimentaires (ANSES, 2010 ; EFSA, 2018, 2019 ; Générations Futures, 2016, 2017 ; Herrero-Hernandez et al., 2016 ; Nougadère et al., 2020 ; PAN Europe, 2008). De plus, ces 3 fongicides figurent parmi les 5 premiers résidus de pesticides trouvés dans l’alimentation française (ANSES, 2011), ainsi que dans des pots d’aliments pour bébés (Nougadère et al., 2020)

Les scientifiques ont étudié l’impact des résidus de fongicides sur le neurodéveloppement de fœtus de souris exposées pendant toute la durée de la gestation. Les souris ont été exposés aux insecticides seuls au cyprodinil, au mépanipyrim et au pyriméthanil, soit seuls (0,1 μg/L), soit en cocktail (0,1 μg/L chacun), par l’intermédiaire de l’eau potable, à la dose limite réglementaire des pays européens jusqu’au troisième jour postnatal. En parallèle, certains animaux ont été exposés aux fongicides jusqu’à l’âge de 4 mois pour en extraire leurs cellules souches neurales adultes (CSNA) afin d’analyser plus en détail leurs propriétés.

Les résultats montrent que l’exposition in utero aux fongicides, seuls ou en mélange, a considérablement augmenté les niveaux de deux marqueurs différents (à savoir nestin et doublecortin) dans le cerveau, reflétant un réservoir accru de précurseurs neuronaux.

Même si à première vue, cette prolifération de précurseurs neuronaux peut être considérée comme un mécanisme de compensation de la perte neuronale, tel que démontré précédemment dans des modèles de traumatisme cérébral, cela pourrait entraîner des déficits cognitifs à long terme. En effet, les chercheurs émettent l’hypothèse que l’augmentation des cellules précurseurs observée lors de l’exposition aux fongicides pourrait entraîner, plus tard dans la vie, un dysfonctionnement des propriétés de prolifération et de la différenciation. Les résultats issus des traitements de nouveau-nés jusqu’à 4 mois suggèrent d’ailleurs que ces altérations pourraient limiter la capacité des cellules souche neurales de l’hippocampe (une structure du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale) à remplacer les neurones endommagés et à réparer le réseau neuronal in vivo, lors d’un vieillissement normal ou pathologique.

En outre, lors de l’exposition aux fongicides gestationnels, les nouveau-nés ont présenté une astrogliose et une microgliose dans certaines zones de l’hippocampe. Selon les scientifiques responsables de l’étude, ces processus inflammatoires accrus peuvent altérer la formation du réseau neuronal et la transmission synaptique fine. Il a été démontré que de telles altérations sont impliquées dans plusieurs troubles neurologiques tels que l’autisme, la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer, ce qui suggère qu’à des stades beaucoup plus anciens, les souris exposées à de faibles doses de fongicides pourraient être plus enclines à développer des altérations neurologiques, et éventuellement des pathologies.

À notre connaissance, cette étude est la première à démontrer l’impact d’une exposition gestationnelle à des doses aussi faibles de fongicides (0,1 μg/L) sur le développement neurologique. Les résultats montrent un schéma modifié de prolifération et de différenciation des CSN associé à une exacerbation de la neuroinflammation, ainsi que des altérations des protéines postsynaptiques lors de l’exposition aux fongicides. En outre, ces données soutiennent l’hypothèse d’Arendt concernant les effets des facteurs exogènes sur le neurodéveloppement. Un environnement contaminé par des résidus de pesticides n’arrête pas son impact au stade de la gestation mais contamine les individus tout au long de leur vie puisque les CSN isolées à partir de cerveaux d’animaux de 4 mois constamment exposés à cette contamination à faible dose, présentait également une altération des propriétés de prolifération, migration, colonisation et de différenciation. On peut donc penser que ces processus neurologiques pourraient être à l’origine d’un terrain propice au développement de maladies neurologiques.

 

Source :

Yunyun Wang, Pierre-André Lafon, Lucie Salvador-Prince, Aroa Relano Gines, Françoise Trousse, Joan Torrent, Corinne Prevostel, Carole Crozet, Jianfeng Liu, Véronique Perrier. Prenatal exposure to low doses of fungicides corrupts neurogenesis in neonates. Environmental Research 195 (2021) 110829.

Agissez

Inscrivez-vous pour suivre notre actualité

Inscription newsletter
×