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Proposition de loi “Duplomb” : un texte en faveur d’un modèle agricole chimiquement intensif et non durable

Une proposition de loi (PPL) du nom de son auteur (Laurent Duplomb) vise soi-disant “à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”. Cette PPL s’inscrit notamment dans le cadre des revendications de certains syndicats agricoles qui dénoncent trop de normes environnementales et des entraves à l’usage d’un certain nombre de pesticides. La France serait sans outil de production à savoir manquerait de pesticides pour produire… Générations Futures qui publie ce jour un rapport sur ce point démontre que c’est faux !

C’est dans ce contexte que Laurent Duplomb, sénateur du groupe Les Républicains, agriculteur de profession, propose cette PPL, ce dernier n’étant pas à son coup d’essai dans son combat pour maintenir l’agriculture dans un modèle chimiquement intensif. A l’origine de la proposition de loi “Ferme France” avec les sénateurs Franck Menonville (UC) et Vincent Louault (LIRT), il revient à la charge avec une nouvelle PPL largement inspirée de celle que la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) ont publié à la fin de l’été.

Composée de 4 titres et de 6 articles, deux articles (1 et 2) ont particulièrement retenu notre attention et pour lesquels nous vous proposons de rentrer un peu plus dans le détail des dispositions.

Ré-autorisation des néonicotinoïdes

La PPL suggère d’autoriser l’utilisation de pesticides à base de substances néonicotinoïdes, ou ayant un mode d’action similaire, encore autorisées dans l’Union Européenne.

Les néonicotinoïdes, largement plébiscités par certains agriculteurs du fait de leur très grande « efficacité », soulèvent de sérieuses inquiétudes en raison de leurs impacts sur l’environnement et la santé humaine. Ces substances chimiques attaquent le système nerveux des insectes, entraînant un déclin des populations, y compris des organismes non cibles. Par ce mode d’action, ils touchent aussi bien les insectes vecteurs de maladies pour les cultures (ex : les pucerons) que les pollinisateurs, perturbant ainsi toutes les chaînes alimentaires jusqu’aux espèces auxiliaires des cultures (oiseaux, prédateurs naturels des pucerons). Ces insecticides sont généralement persistants dans les sols, peuvent migrer vers les milieux aquatiques menaçant ainsi l’ensemble de la biodiversité et ont aussi des impacts sur la santé humaine comme nous le dénoncions déjà en 2020 .

C’est parce qu’ils affectent l’ensemble de l’écosystème dans lequel ils sont introduits, qu’ils sont qualifiés de pesticides systémiques. A cet égard, sur les 5 néonicotinoïdes ayant été autorisés dans l’UE, seule l’acétamipride dispose encore d’une autorisation, tout comme deux substances similaires à cette famille (le sulfoxaflor et le flupyradifurone) mais dans des conditions d’usages très limitées, notamment l’utilisation en milieu fermé.

Fort heureusement, l’utilisation des néonicotinoïdes et des pesticides ayant des modes d’action identiques est interdite en France (art.L.253-8 CRPM).

Répartition des compétences entre l’ANSES et le ministre de l’Agriculture

L’homologation des produits pesticides (la formulation complète, i.e la substance active associée aux coformulants) est confiée à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) selon l’article L.1313-1. du code de la santé publique. L’ANSES exerce cette mission en appliquant strictement la réglementation en vigueur.

Selon l’article 29 du règlement 1107/2009 un produit ne peut être autorisé que s’il répond, entre autre, aux conditions prévues à l’article 4 paragraphe 3, c’est-à-dire :

  1. il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ou animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable, des aliments, de l’air, du lieu de travail ; ou sur les eaux souterraines ;
  2. il n’a aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ;
  3. Il n’a pas d’effet inacceptable sur l’environnement.

La PPL souhaite conférer au ministre de l’Agriculture le pouvoir de suspendre une décision du directeur général de l’ANSES sur la base de fondements économiques. Cette proposition va au-delà de la réglementation européenne (cocasse pour un texte qui aspire à lutter contre les surtranspositions et la sur-réglementation). Ainsi, cette mesure pourrait conduire à une contrariété entre le droit interne et le droit européen. Par ailleurs, le ministre de l’Agriculture peut déjà, “par arrêté motivé”, s’opposer à une décision de l’ANSES et lui demander de procéder à une nouvelle évaluation du dossier (article L.1313-5 du code de la santé publique).

Autorisation de la pulvérisation par drone

Comme pour les néonicotinoïdes, la PPL propose d’autoriser la pulvérisation aérienne de pesticide par aéronef sans personne circulant à bord, qu’on appellera drone., de pesticides autorisés en agriculture biologique et de produits de biocontrôle s’il n’y a pas d’autre solution viable, lorsque cela présente des avantages environnementaux et sanitaires manifestes par rapport aux applications par voie terrestre ou en cas de danger sanitaire grave.

La directive européenne sur l’utilisation “durable” des pesticides (dite directive SUD) fixe les règles en matière de pulvérisation aérienne à son article 9. Elle dispose clairement à son 1er alinéa que “Les États membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite.” Les alinéas suivant fixent une liste de dérogations et de conditions à celles -ci parmi lesquelles :

  1. l’absence d’autre solution viable ;
  2. la présentation d’avantages manifestes pour la santé humaine et l’environnement.

En France, la pulvérisation est donc interdite mais “en cas de danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens, la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques pour lutter contre ce danger peut être autorisée temporairement par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé.” (art.L.253-8 CRPM)

La loi Egalim de 2018 a autorisé une expérimentation de 3 ans de ce mode de pulvérisation afin d’en déterminer les bénéfices (article 82 de la loi n°2018-938). Les résultats ont été consolidés et analysés par l’ANSES dans une note.

Sur les 74 essais menés pour vérifier l’efficacité de cette méthode d’application, toute culture confondue (vignes, pommes, bananes), seuls 7 essais sont totalement valides, tous les autres, soit 67, font l’objet de faiblesses méthodologiques pointées par l’ANSES.

Que ce soit tant sur l’efficacité de cette méthode d’application, que sur la réduction de la dérive ou de l’exposition des travailleurs et des riverains, l’ANSES conclut à la nécessité de disposer de plus de données et de meilleure qualité et donc de poursuivre les expérimentations. En conséquence, les expérimentations menées n’ont pas permis de démontrer que l’épandage de pesticides par drone présentait des avantages manifestes pour la santé et l’environnement et donc de répondre aux exigences de la directive SUD.

FOCUS  – Le député Jean-Luc Fugit, du groupe Ensemble pour la République (EPR), a déposé une proposition de loi (PPL) spécifiquement sur ce sujet et visant à autoriser la pulvérisation de certains pesticides par drone, dont il est également le rapporteur.

Cette PPL doit être discutée en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 27 novembre avant de passer en séance publique à partir du 2 décembre.

L’adoption de cette proposition de loi représenterait une défaite pour la sortie de l’agriculture de sa dépendance aux pesticides, et à l’inverse une victoire pour la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA) dans un contexte d’élections des chambres d’agriculture particulièrement tendu.

Vous pouvez si vous le souhaitez interpeller dès maintenant vos députés sur ce sujet pour leur demander de ne pas voter en faveur de cette loi.

Une PPL très inquiétante sur le sujet des pesticides et que nous allons combattre

En conclusion, il ne s’agit là que de quelques exemples des propositions rétrogrades portées par des élus de droite visant à maintenir notre modèle agricole dans sa dépendance aux pesticides. Le texte sera discuté en commission des affaires économiques au Sénat le 4 décembre puis en séance publique le 17. Il y a très peu de suspens quant à l’issue du scrutin étant donné que la PPL dispose déjà de 182 signatures, principalement des groupes Les Républicains (LR), Union Centriste (UC) et Les Indépendants – Républiques et Territoires (LIRT), soit plus que la majorité absolue au Sénat (174).

Nous irons, malgré tout, porter toutes nos critiques à l’encontre de cette PPL lors d’une table ronde qui se tiendra au Sénat le 21 novembre en présence du rapporteur du texte, Pierre Cuypers, et d’autres associations.

L’adoption de cette proposition de loi au Sénat ne sera pas une fatalité. Tout comme la PPL “Ferme France”, elle peut rester aux oubliettes et ne jamais être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Le sénateur Duplomb souhaite une inscription de sa proposition de loi à l’Assemblée nationale lors d’une semaine du Gouvernement fin janvier. Pour cela, nous aurons sûrement besoin de vous pour interpeller le Gouvernement ainsi que la Conférence des Présidents !

En parallèle de cette loi, une autre PPL va nous mobiliser concernant les pulvérisations par drones qui arrive à l’Assemblée nationale. Donc en attendant de vous mobiliser contre la PPL Duplomb, vous pourrez (très) bientôt interpeller vos députés concernant la PPL Drones du député Ensemble pour la République (EPR – ex Renaissance) Jean-Luc Fugit visant à autoriser la pulvérisation de certains pesticides par drone.

Fact checking : l’agriculture française est-elle privée de pesticides ?

Générations Futures rétablit la vérité ! Lire notre rapport : Fact checking : l’agriculture française est-elle privée de pesticides ?

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