Quand la liberté d’expression est menacée par ceux qui ne veulent pas qu’on parle des pesticides!
Des écologistes allemands et un auteur autrichien se retrouvent assignés en justice dans le nord de l’Italie suite à des critiques formulées contre l’utilisation massive de pesticides.
Le procès débute au tribunal régional de Bozen / Bolzano, en Italie, le 15 septembre avec des menaces d’emprisonnement et d’amendes, ainsi que des demandes potentielles de millions d’euros de dommages et intérêts.
Il s’agit sans conteste d’une tentative d’intimidation à l’encontre des personnes et ONG qui dénoncent la forte utilisation des pesticides au Tyrol du Sud (Südtirol / Alto Adige), l’une des plus grandes régions pomicoles d’Europe. Cette poursuite correspond à une stratégie, de plus en plus fréquemment utilisée en Europe pour faire taire les critiques militants et journalistes.
Rappelez vous en 2010 lorsque notre association avait été victime d’un procès « bâillon » par la Fédération des producteurs de raisins de table dont l’issue nous avait été totalement favorable[1]. Le juge condamnant ces producteurs qui nous avaient attaqués au motif que nous dénigrions leur production et nous réclamaient pas moins de 500 000€! La réalité était qu’en fait ils n’avaient pas accepté que nous puissions montrer qu’ils y avaient dans les grappes que nous avions analysées des résidus de pesticides…
Visiblement en 2020 les choses de ce côté ont peu évoluée…
Ainsi, l’Institut de l’environnement de Munich (une ONG allemande) et l’auteur autrichien Alexander Schiebel se retrouvent à leur tour devant les tribunaux. Ils affirment que la procédure pénale engagée contre eux est une attaque massive contre leur liberté d’expression et vise à faire taire les critiques de l’utilisation des pesticides.
Des poursuites judiciaires ont été engagées en 2017 par Arnold Schuler, ministre de l’Agriculture de la Province autonome italienne, après la publication de critiques sur la forte utilisation des pesticides dans la région italienne. Les plantations de pommes de la région sont aspergées de pesticides jusqu’à 20 fois par saison, une utilisation supérieure à la moyenne dans la plus grande région de pomiculture continue d’Europe.
Les accusations sont également déposées au nom de plus de 1 300 agriculteurs. Trois ans après le dépôt des premières accusations, le parquet du tribunal régional de Bolzano a engagé une procédure contre Karl Bär, conseiller en politique agricole au Umweltinstitut München( Institut de l’Environement de Munich), et Alexander Schiebel (auteur de «Le miracle de Mals»).
Le procès contre Karl Bär commence le 15 septembre. L’écologiste Karl Bär a déclaré: «Nous voyons maintenant que le Tyrol du Sud n’a pas seulement un problème de pesticides mais aussi un problème de démocratie. Les accusations et plaintes contre nous sont sans aucun fondement et n’ont qu’un seul objectif: faire taire les voix critiques sur l’utilisation des pesticides, soulignant leurs effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine. Ce cas est seulement l’un d’une longue série de poursuites non fondées contre des militants et des journalistes en Italie et à travers l’Europe. De plus en plus, les entreprises et les politiciens essaient d’utiliser cette méthode pour obstruer et intimider les voix critiques. »
Le procès contre Karl Bär a été déclenché par la campagne «Pestizidtirol» («Pesticide Tyrol ») que l’Institut de l’environnement de Munich a lancé à l’été 2017. Pendant trois jours en août, un panneau d’affichage avait été affiché à Munich pour attirer l’attention sur le haut niveau d’utilisation des pesticides au Tyrol du Sud. Conçu dans le style de la campagne publicitaire pour le Tyrol du Sud, l’affiche visait à illustrer la surutilisation des pesticides sur les plantations fruitières. Dans le cas d’Alexandre Schiebel, l’accusation de diffamation renvoie à un passage de son livre «Das Wunder von Mals» («Le miracle de Mals»), dans lequel il critique l’utilisation de pesticides au Tyrol du Sud et le comportement des fruiticulteurs locaux. Dans l’éventualité d’une défaite devant les tribunaux pénaux, les accusés s’exposent non seulement à des sanctions financières ou d’emprisonnement, mais aussi d’éventuelles demandes de dommages et intérêts s’élevant à des millions d’euros et donc la ruine financière.
Nicola Canestrini, l’avocat de Bär et Schiebel, a déclaré: «La liberté d’expression est une composante fondamentale de la démocratie, et l’une des armes les plus puissantes contre la tyrannie et l’abus de puissance. Cela devrait sonner l’alarme que quelqu’un soit accusé d’avoir exercé un droit aussi fondamental. Nous nous battrons à Bolzano pour tous les écologistes et journalistes qui révèlent des pratiques problématiques pertinentes pour l’intérêt public. Nous prouverons lors du procès que les pesticides sont utilisés de manière excessive au Tyrol du Sud et qu’ils sont dangereux pour la santé humaine, les animaux et l’environnement. »
Au cours de son enquête de deux ans, le parquet de Bolzano a demandé l’assistance de leurs homologues de Munich. Cependant, ces derniers ont refusé de coopérer et référencé la situation juridique allemande, ainsi que le droit à la liberté d’expression comme garanti à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Malgré cela, le parquet de Bolzano poursuit les poursuites contre Bär et Schiebel pour diffamation. Il reste à savoir si les membres du conseil d’administration de Institut de l’Environement de Munich,, ainsi que le PDG d’oekom Publishing, l’éditeur de «The Miracle of Mals» seront également poursuivis.
L’auteur autrichien Alexander Schiebel a déclaré: «Le ministre provincial du Sud Tyrol et les pomiculteurs veulent balayer l’utilisation excessive de pesticides dans leur mono-cultures, et leurs conséquences pour la nature et les humains, sous le tapis. De nombreux citoyens locaux s’opposent à l’utilisation massive de pesticides synthétiques mais sont soumis à un climat de peur qui résulte d’une menace constante d’être victime de poursuites judiciaires. Mais nous ne serons pas réduits au silence, bien au contraire. »
L’utilisation de pesticides dans Südtirol / Alto Adige
Environ une pomme sur dix récoltée en Europe provient du Tyrol du Sud. L’industrie de la pomme dans la région dépend de quelques variétés telles que «Golden Delicious» ou «Gala», qui sont très sensibles aux maladies fongiques. Ces deux variétés représentaient environ la moitié de la superficie en culture en 2017. Une monoculture de cette nature nécessite une forte utilisation de pesticides. Les dernières données de l’office statistique italien confirment que dans la province autonome de Bozen / Bolzano, les ventes de pesticides par surface traitable étaient plus de six fois supérieures à la moyenne italienne en 2018.
Sur les poursuites stratégiques en Italie et en Europe
Les litiges stratégiques contre la participation publique ( SLAPP = Strategic Lawsuit Against Public Participation en anglais) sont des poursuites intentées par de puissants acteurs visant à intimider ou faire taire les voix exprimant des critiques pertinentes pour l’intérêt public. Typiquement, les victimes sont celles qui ont une fonction de surveillance, par exemple les journalistes, les militants ou les scientifiques. Les caractéristiques d’un cas SLAPP incluent le choix disproportionné et agressif des méthodes par rapport à l’infraction alléguée. Dans la plupart des cas, des individus plutôt que des organisations entières sont ciblés et les plaintes sont dénuées de fondement factuel ou juridique. L’Italie est un hotspot de tels cas SLAPP. Plus de 6000 (deux tiers) des affaires de diffamation engagées contre les journalistes et les médias sont révoqués par les juges comme non fondés chaque année.
Traduction du CP du Umweltinstitute