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Pesticides tueurs d’abeilles : une interdiction à généraliser

Depuis la nuit des temps, les abeilles sont essentielles pour la reproduction des plantes sauvages et cultivées. Si les abeilles domestiques servent en premier lieu à produire du miel, leur butinage permet de polliniser naturellement de très nombreux champs, et donc de garantir la production alimentaire.

Depuis une vingtaine d’années, on constate cependant une diminution dramatique des populations de pollinisateurs, dont les abeilles. Certains pesticides sont particulièrement pointés du doigt, suspectés d’empoisonner directement les abeilles et leur descendance. Si le combat des apiculteurs et des ONG a permis récemment l’interdiction de certains de ces produits chimiques, d’autres circulent encore, et l’agriculture intensive n’a pas fini de menacer les abeilles, pourtant essentielles aux productions agricoles.

Effondrement de la population des abeilles : un problème complexe, multifactoriel et très inquiétant

Le syndrome d’effondrement des colonies

Depuis la fin des années 1990 en Europe, un phénomène nouveau et particulièrement inquiétant est observé avant de se répandre ailleurs dans le monde. A la sortie de l’hiver, les apiculteurs constatent un taux de mortalité anormalement élevé au sein de leurs ruches, certaines se vidant presque complètement de toutes leurs abeilles. Localement, près de 90% des colonies d’abeilles peuvent disparaître. A plus grande échelle, les États-Unis voient ainsi disparaître le quart de leurs abeilles dans le seul hiver 2006-2007.

On parle alors de syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles. Le problème est considéré par les scientifiques comme gravissime, puisque l’approvisionnement mondial en nourriture repose sur les insectes pollinisateurs. En Europe, plus de 80% des plantes cultivées dépendent directement des abeilles domestiques et sauvages. En Chine, on observe même depuis quelques années des campagnes de pollinisation manuelle dans certains vergers pour compenser la disparition des abeilles.

Si le syndrome était amené à s’étendre, des famines régionales pourraient apparaître dans les années à venir. Reste que pour stopper une telle mortalité galopante, il faut d’abord en identifier les causes et avoir la volonté politique d’agir dans le bon sens.

L’activité humaine responsable de la disparition des abeilles

D’après les dernières études, le déclin inquiétant des colonies d’abeilles pourrait être multifactoriel. Différentes causes pourraient expliquer la disparition des abeilles, mais toutes semblent désigner un coupable commun : les activités humaines. Cumulées, ces différentes causes laissent très peu de chance aux colonies d’abeilles.

L’exploitation industrielle des abeilles, couplée au changement climatique dans l’hémisphère Nord et à la mondialisation des échanges commerciaux, pourrait expliquer l’apparition et la prolifération d’un nouveau parasite, le Varroa destructor. Les pratiques d’agriculture intensive auraient aussi tendance à dégrader l’alimentation des abeilles. En l’absence de diversité florale, et en présence uniquement de plantes peu nutritives car développées à l’aide d’OGM ou d’engrais chimiques, les abeilles souffrent de carences alimentaires.

Pire encore, ce type d’agriculture utilise intensivement des pesticides pour lutter contre les parasites. Ces derniers, souvent pulvérisés juste avant la floraison, sont facilement ingérés par les abeilles. Ils peuvent alors les tuer directement ou les affaiblir au point de les rendre particulièrement vulnérables aux changements saisonniers, aux virus et aux parasites.

Pour les abeilles européennes, l’effet cocktail des pesticides, de l’agriculture intensive et des parasites venus d’Asie est un danger mortel. Pour preuve, les ruches de l’île d’Ouessant, qui ne connaît aucun de ces trois facteurs, sont en excellente santé. Dans d’autres endroits isolés, comme à la Réunion, la présence de varroa ne provoque pas de syndrome d’effondrement des colonies majeur, n’étant pas associée à une utilisation intensive des pesticides.

Une première victoire : l’interdiction des néonicotinoïdes par l’Union Européenne

En avril 2018, quinze des vingt-huit États membres de l’Union Européenne se sont prononcés pour l’interdiction de trois pesticides néonicotinoïdes : l’imidaclopride, le clothianidine et le thiamétoxame, fabriqués par les géants de l’agrochimie Bayer et Syngenta. Une première victoire pour la protection des abeilles en Europe.

Les néonicotinoïdes, qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit d’une famille d’insecticide qui agit sur le système nerveux central des insectes. Ils ciblent et saturent les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, ce qui provoque la paralysie des insectes et, rapidement, leur mort. S’ils sont censés cibler les seuls parasites, leur mode de fonctionnement agit malheureusement également sur des insectes sains, notamment les abeilles, pourtant nécessaires pour la survie des champs ainsi traités.

Il s’agit d’une des familles d’insecticides les plus utilisées au monde, à la fois par les agriculteurs et dans les jardins de particuliers. Il protège les cultures par épandage, mais aussi les semences directement, par enrobage. Cette pratique provoque une contamination constante et continue de la totalité des plantes. Les substances chimiques se diffusent alors dans les pollens en continu, et donc dans les ruches. De plus, cette présence permanente des néonicotinoïdes dans l’environnement entraîne des effets de résistance de certains parasites, ce qui provoque l’utilisation d’encore plus de pesticides complémentaires par les agriculteurs.

Une interdiction bienvenue mais insuffisante

Suite à l’action de plusieurs ONG dont Générations Futures, l’Union Européenne a accepté de bannir l’utilisation de trois des néonicotinoïdes les plus dangereux pour les abeilles. Malheureusement, d’autres néonicotinoïdes tueurs d’abeilles sont encore en circulation, ainsi que des insecticides d’autres familles au mode de fonctionnement très proche. C’est notamment le cas de certains insecticides à base de sulfoxaflor, qui agissent également sur le système nerveux central des insectes.

Pour les industriels de la chimie, le sulfoxaflor est vu comme le remplaçant des néonicotinoïdes qui viennent d’être interdits. Pourtant, sa toxicité sur toutes les abeilles est reconnue et il agit de la même manière que les néonicotinoïdes maintenant interdits. ! Les pesticides basés sur le sulfoxaflor sont particulièrement mortels pour les abeilles domestiques et les bourdons, notamment quand le produit est pulvérisé sous forme liquide. Retirer des néonicotinoïdes du marché est donc une excellente chose. Mais les voir remplacer par des produits aussi dangereux, voire plus toxiques encore pour les abeilles, et agissant de manière similaire représente un danger qu’il ne faut pas négliger.

Substituts aux néonicotinoÏdes interdits : une nouvelle bataille à mener

Heureusement, sous la pression des associations et des initiatives populaires, certains pays mettent en place des réglementations plus restrictives que celles de l’Union Européenne. Rappelons ainsi que Générations Futures a déposé deux recours en justice en Octobre 2017, visant à annuler l’autorisation de mise sur le marché de deux insecticides à base de sulfoxaflor, le Closer et le Transform. Le fabricant Dow préconisant un épandage sur les cultures quelques jours seulement avant la floraison, ces deux pesticides présentaient un risque énorme pour les abeilles et autres pollinisateurs. Après une première victoire au tribunal administratif de Nice, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi en cassation de la firme Dow en février 2018, conduisant à la suspension de ces deux insecticides.

Quelques mois plus tard, les actions collectives menées, entre autres, par Générations Futures, ont conduit à l’adoption de quelques (trop rares) points positifs dans la loi EGA Agriculture et Alimentation. Il y est notamment spécifié une interdiction des produits phytosanitaires aux modes d’action identiques à ceux des néonicotinoïdes, dont ceux à base de sulfoxaflor. Si la mise en application de cette interdiction peut prendre un peu de temps, il s’agit cependant d’un pas dans la bonne direction, qui n’est malheureusement pas généralisé à toute l’UE.

Plus récemment, en février 2019, l’Anses fait un pas de plus en faveur d’une protection plus large des abeilles et des pollinisateurs. L’Agence nationale préconise en effet de renforcer les mesures déjà évoquées plus haut. Elle recommande ainsi de généraliser l’interdiction de pulvérisation pendant les périodes de floraison à l’ensemble des pesticides, et pas uniquement aux insecticides. De plus, elle émet la suggestion que les éventuelles dérogations pouvant être accordées pour des pulvérisations soient soumises à de nouveaux essais. Ces derniers devront porter sur la toxicité des produits sur le développement des couvains dans les ruches, sur le système neurologique des abeilles, ou encore sur les risques de contamination par simple contact.

Encore une fois, si les recommandations en France vont globalement dans le bon sens, les évolutions sont lentes et les dérogations aux interdictions existent toujours. Le problème est d’autant plus critique qu’il est mondial, et doit impérativement être mené rapidement et à grande échelle.

Agir globalement pour protéger les abeilles et notre avenir

Pour les ONG de défense de l’environnement, la victoire liée à l’interdiction des néonicotinoïdes ne doit donc pas occulter un combat plus global. Il est en effet primordial d’obtenir l’interdiction généralisée de tous les produits néonicotinoïdes, des insecticides neurotoxiques proches, et d’un grand nombre de pesticides chimiques.

Il convient également d’appliquer au plus vite une évaluation stricte des risques représentés par les pesticides existants et en développement, de limiter autant que possible leur usage, mais aussi d’étudier les dangers que représentent les effets cocktails de ces différents produits sur la biomasse.

Enfin, le but de toute société durable et responsable devrait être d’encourager le développement de méthodes agroécologiques afin de supprimer la dépendance aux pesticides. Aujourd’hui, l’aberration est telle que certains substituts aux néonicotinoïdes tueurs d’abeilles présentent non seulement un danger similaire pour les pollinisateurs, mais également une menace pour certains insectes qui régulent naturellement les populations de parasites. Le Journal of Economic Entomology de l’université d’Oxford a ainsi publié en février 2017 une étude démontrant le danger du sulfoxaflor pour les coccinelles, pourtant le principal prédateur naturel des pucerons que ce produit chimique cherche justement à éliminer.

En optant pour une agriculture saine et durable, il est possible de mieux nourrir nos prochains, tout en protégeant l’environnement et en se mettant à l’abri des grandes catastrophes sanitaires et écologiques causées par une exploitation industrielle de la nature. Pour lutter contre les pesticides, leur usage irraisonné et les risques qu’ils entraînent sur l’environnement et la santé humaine, l’urgence continue.