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Retour sur l’audition de Marc Fesneau sur les mesures agroécologiques à la Commission Développement Durable

Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a été auditionné début mars par la Commission Développement Durable et Aménagement du Territoire de l’Assemblée Nationale. Cette audition de plus de deux heures permet de revenir à nouveau sur les points faibles de la politique agricole actuelle et le manque d’anticipation cruciale du gouvernement dans la mise en place d’un système agricole durable soucieux de la protection de l’environnement et rémunérateur pour les agriculteurs.

De belles paroles et peu de moyens sur la nécessaire transition agricole

Marc Fesneau a déclaré en préambule qu’”il faut assumer des transitions. […] Dans le monde agricole, c’est avec 380 000 agriculteurs qu’il faut procéder à la transition : celle-ci doit être massifiée. Cela suppose de lever des freins psychologiques, mais aussi économiques : certains ne pourront assumer la transition sans rémunération. Or il faut qu’elle puisse tenir dans la durée.” Cette affirmation semble être de bon augure dans le contexte actuel et paraît répondre aux multiples appels des associations sur le sujet. 

Malheureusement, ces propos sont loin d’être en cohérence avec le positionnement du gouvernement et les propos à suivre de Monsieur Fesneau. En effet, la transition est nécessaire mais alors pourquoi avoir joué dérogations sur dérogations concernant les néonicotinoïdes avant de se faire bloquer par l’arrêt de la CJUE ? Pourquoi aider le secteur de l’agriculture biologique d’une enveloppe, ridicule soit dit en passant, de 10 millions d’euros ce qui reviendrait à 166 euros par exploitation alors que le secteur fait face à une crise ? 

Le manque de soutien à l’agriculture biologique, véritable levier de transition agricole, a été soulevé par de nombreux députés (Aymeric Caron (LFI), Chantal Jourdan (PS), Guy Bricout (LIOT), Nicolas Thierry (EELV), Marie Pochon (EELV)…) et aussi par les professionnels du secteur lors du SIA et se poursuit à travers une pétition. La réponse de Marc Fesneau est loin d’être suffisante et n’annonce pas de moyens supplémentaires.

Pourtant, les scientifiques de l’INRAe l’attestent dans leur publication sur la diversification végétale ou encore les 56 scientifiques français signataires d’une nouvelle étude : la transition agricole passer par un soutien des politiques publiques fortsNadine Andrieu, agronome au Cirad et co-autrice de l’article souligne :  «  il faudra aussi un appui conséquent des politiques publiques pour accompagner les nécessaires transformations techniques et organisationnelles. ». Ce que confirme Eric Scopel, agronome au Cirad :  » il faut sortir de la logique actuelle du court-terme et prendre le temps de recréer des équilibres biologiques dans les agroécosystèmes. Plus tôt on commence, plus tôt ces nouveaux systèmes pourront répondre aux enjeux actuels de l’agriculture« . Les scientifiques de l’expertise collective de l’INRAe affirmaient eux aussi :  « Les politiques publiques apparaissent ainsi comme un levier central pour inciter et accompagner le développement de la diversification végétale. »

Marc Fesneau conçoit que ces changements relèvent de choix politiques néanmoins l’erreur commise est qu’il fait passer le « système durable » de  transition agricole comme étant un élément : « la souveraineté alimentaire n’est pas incompatible avec les préoccupations propres à votre commission, car un système durable en est un élément ». Au contraire, le choix d’une agriculture durable sobre en intrants doit être le pilier de la politique de transition et les facteurs économiques, des éléments de cette dernière. La député Horizon, Anne Cécile Violland, le souligne : « Le manque de lisibilité du projet agroécologique national et la dispersion des financements publics au profit d’une minorité d’agriculteurs ne permettent pas aux acteurs de savoir dans quelle direction aller« .

Ainsi, Marc Fesneau exprime le réel frein qu’émet le gouvernement à la transition agricole dans une réponse à un député :  » je crois à la diversité des modèles. Chacun emprunte une trajectoire qui lui est propre et est soumis à un seuil de rentabilité différent. Il faut arriver à combiner les grandes cultures et l’agriculture paysanne. » Une transition doit évidemment avoir lieu entre les deux modèles, mais pérenniser cette ambivalence ne permettra jamais à la France d’avancer vers un modèle soutenable sur le long terme, sobre en intrants chimiques, régénérant la biodiversité et nourrissant sainement ses citoyens. 

L’enjeu majeur de la LOA

La Loi Orientation et Avenir Agricoles doit permettre de donner un cap pour l’agriculture française à horizon 2040. C’est un temp fort politique majeur dont Générations Futures se saisit pour faire valoir un modèle agricole soutenable, sans intrants chimiques, rémunérateur et respectueux des agriculteurs. Lire les recommandations. 

Marc Fesneau a déclaré pendant son audition :  » [le projet LOA c’est ce]que la société peut attendre de l’agriculture, mais aussi ce que l’agriculture est en droit d’attendre de la société, tel est le sens du pacte – sinon, la
relation serait unilatérale ».
  Générations Futures et d’autres associations parties prenantes des discussions, notent que le système de concertation mis en place par le gouvernement ne permet qu’une sur-représentation des acteurs du système agricole conventionnel. Ce souci est d’autant plus renforcé au niveau régional où les groupes de travaux devront rendre « 5 orientations consensuelles » alors qu’il y a un manque de représentativité des acteurs alternatifs au modèle prédominant. Aussi, la remarque de Marc Fesneau sur la limite unilatérale de la concertation est plus que d’actualité. En outre, la consultation publique n’est toujours pas lancée et ne permet pas aux citoyens français de défendre le modèle agricole vers lequel ils souhaitent tendre dans les prochaines années. 

Et pourtant, Marc Fesneau souligne l’enjeu de ce projet : « Nous disposons d’un levier de massification des changements : la démographie. En effet, 40 % des agriculteurs vont pouvoir partir à la retraite dans les dix années qui viennent : c’est considérable. » La LOA apparaît comme le temps fort politique plus qu’adéquat pour mettre en place une stratégie de sortie de l’utilisation des produits phytosanitaires. 

Manque de responsabilités concernant les pesticides

Durant l’audition, différents députés ont interpellé le Ministre sur les échecs des plans de réduction Ecophyto ou le manque de soutien gouvernemental aux alternatives. Marc Fesneau s’exprime alors sur l’impasse :  » On est allé d’interdiction en interdiction, de dérogation en dérogation, alors qu’une interdiction ne fournit jamais de solution, qu’une dérogation n’est pas une solution non plus quand elle n’est pas planifiée et que, renouvelée tous les ans, elle n’est plus une dérogation, mais une règle. Qu’avons-nous fait, comment avons-nous pu construire depuis vingt-cinq ans un modèle dans lequel, chaque année, on vient demander au ministère de l’agriculture une dérogation pour pouvoir continuer telle ou telle production ? Dans ce contexte, la planification est impossible. »

Un tel discours sur l’impossible planification n’est pas tenable pour plusieurs raisons. D’une part, l’existence d’alternatives viables, pratiquées par des agriculteurs et défendues par des scientifiques est avérée depuis longtemps. Il aurait donc été possible de planifier la transition et faire face aux fins d’autorisation de mise sur le marché de produits. Chantal Jourdan, députée PS le souligne : « Pourtant, il existe de nombreuses solutions écosystémiques : la culture bio, les techniques sans labour, etc. C’est si nous ne remettons pas en cause les pratiques agricoles productivistes que nous nous trouverons dans une impasse. Il faudrait flécher les crédits publics vers les outils de conversion aux pratiques vertueuses. Comment comptez-vous susciter cet indispensable changement culturel et productif ? » Pour y répondre, Marc Fesneau relativise les effets de la chimie :  »  Le choix de ce système de cultures nécessite parfois l’usage de produits phytosanitaires. Cela étant, je connais très peu d’activités économiques où la chimie n’est pas employée à un moment ou à un autre, et je ne vois pas pourquoi on reprocherait à l’agriculture le recours à des pratiques que l’on ne critique pas dans d’autres secteurs, comme l’habillement. La chimie n’est pas, par nature, toxique. Lorsqu’il existe un risque, il faut savoir en sortir, mais sans se laisser gouverner par des postulats. » 

Justifier un tel mode d’action avec une comparaison aux autres systèmes de production n’est pas sérieux. Ici ,nous parlons de l’agriculture et de nourrir les populations, un enjeu vital et essentiel à chacun, à travers un cercle vertueux, respectueux de l’environnement et de la santé. D’autant plus que les propos de Marc Fesneau sont erronés : les secteurs de l’habillement, de la pharmacie, de la cosmétique sont tout aussi critiqués pour la pollution qu’ils émettent. A l’instar du secteur agricole, des alternatives existent et sont défendues par de nombreux politiques et associations. A l’instar du secteur agricole, un autre système est défendu qui promeut la sobriété dans l’utilisation des matières premières mais aussi dans l’agencement des modes de vie de tout à chacun.

Marc Fesneau argumente aussi qu’: « à force d’éliminer des molécules, il n’en reste plus qu’une ou deux à utiliser dans certaines filières : que l’une disparaisse et les difficultés sont assurées ». 

Les difficultés assurées sont la plupart du temps prévisibles. Prenons le cas concret du S-Métolachlore, un des herbicides les plus utilisés en France, sous le feu des projecteurs suite aux décisions de l’EFSA et de l’ANSES quant à sa restriction. Générations Futures soulignait dans son rapport publié en 2022 sur les métabolites de cette substance que les risques encourus sont connus depuis 2004 : »Pour preuve, en 2004, avant la première commercialisation des produits à base de Smétolachlore, la Commission Européenne alertait les Etats Membres sur le potentiel de
contamination des eaux souterraines par ses principaux métabolites ESA-métolachlore (CGA 354743) et OXA-métolachlore (CGA51202) ».

Ainsi, nous ne pouvons que soutenir les initiatives de meilleure planification de suppression des molécules à risque, mais tenir un tel discours en 2023 semble irréel.

En matière de pesticides, non, la France ne surtranspose pas.

« Enfin, il faut absolument éviter les surtranspositions »Cette affirmation de Marc Fesneau lors de l’audition suit les propos d’Elisabeth Borne lors du Salon de l’Agriculture : « Nous respecterons désormais le cadre européen et rien que le cadre européen« . 

Ces propos mettent en lumière deux problèmes.

Tout d’abord, la France ne surtranspose pas en matière de pesticides. Générations Futures l’a démontré dans un rapport publié en mars 2023 sur les arguments portés par la FNSEA et différents politiques français. « dans le cas des pesticides et de leur mise en marché, c’est un règlement qui cadre les choses, le règlement 1107/2009 ainsi que deux autres règlements sur les exigences en matière de données et sur les principes uniformes en matière d’évaluation des pesticides. Par définition un règlement n’a pas à être surtransposé car il s’applique directement dans les états membres, alors que les directives doivent être transposées dans le droit national. » Ce fait a été rappelé par Charlotte Grastilleur, Directrice Générale déléguée au pôle produits réglementés de l’ANSES, lors de son audition au sein de la même Commission le 22 mars 2023.

Ce point permet aussi de rappeler le rôle de l’ANSES dans les autorisations de mises sur le marché (AMM) : « Retirer une AMM parce que l’avancée des connaissances montre qu’un produit pesticide ne respecte pas les conditions requises ne relève donc pas d’une surtransposition du droit européen mais de la responsabilité des états, telle que prévue par le Reg 1107/2009″.

Enfin, les déclarations sur le cadre européen sont aussi inquiétantes sur le point qu’a soulevé Sandrine Le Feur, députée Renaissance : « Je constate avec tristesse que la France s’interdit d’avoir une ambition nationale plus grande que celle de l’Europe, alors que l’on sait que son exemplarité lui permet de jouer un rôle dans les discussions au sein de l’Union et que chaque gain environnemental local permet de faire face à l’urgence écologique. La préservation de la biodiversité se joue en premier lieu sur notre territoire. Renoncer à notre ambition aura des effets sur la résilience alimentaire et revient à s’aligner sur le plus petit dénominateur commun.«   En effet, la France a su être jouer un rôle de premier plan pour faire avancer la législation européenne notamment sur le diméthoate ou le bisphénol A

 

Le label HVE, toujours en tendance de fond

Le ministre de l’Agriculture est revenu sur la certification HVE au détour d’une réponse sur le crise dans le secteur de l’agriculture biologique. Selon lui, la dénonciation de ce label ne profite pas au bio. « Le problème ne me semble pas être le label HVE, qui est un outil pour aider un maximum de gens à gravir la marche. » Il ajoute qu’: « il faut repositionner celui-ci dans son segment de marché, et que les produits bio soient perçus par le consommateur comme étant aussi issus de l’agriculture locale ».

Le problème a été souligné par un collectif d’association dont Générations Futures fait partie, qui  a saisi le Conseil d’Etat sur le caractère trompeur de la certification. Une récente enquête d’Interfel appuie ses propos en affirmant que 55% des personnes interrogées croient que le label HVE est soumis à un cahier des charges strict, 48% que les fruits et les légumes HVE sont strictement contrôlés et 44% que l’on peut faire confiance à 100% aux fruits et aux légumes HVE. Ces chiffres sont la preuve que le consommateur est dupé par la mention. Ainsi, argumenter sur les segments de marché est totalement déconnecté de l’impact réel de la certification HVE sur les consommateurs. 

La député Renaissance, Laure Miller s’est aussi exprimée en faveur de cette certification en soulignant que : « l’évolution des exigences de cette certification suscite nombre d’inquiétudes. Le risque est évidemment de décourager les vignerons et les agriculteurs qui se sont engagés dans ce processus. » Il est primordial de rappeler que la certification HVE de niveau 3, n’est pas un outil pour la transition car le système de points et de compensation est biaisé. Les agriculteurs peuvent obtenir la certification sans réaliser de changements significatifs dans leurs utilisations de pesticides, de quantité d’eau ou de pratiques agricoles. Il est donc normal que la certification soit dénoncée comme trompeuse à l’égard des consommateurs ne permettant pas de répondre aux exigences qu’elle prétend donner.

Un point positif, les propos sur les infrastructures agroécologiques (haies et bosquets)

Notons le point positif de cette audition sur les haies et bosquets. Alors que se tient l’Appel de la Haie et qu’a eu lieu la journée mondiale des forêts le 21 mars, Marc Fesneau a rebondi sur la question d’un député sur les enjeux des infrastructures agroécologiques. «  il faut être volontariste et aller beaucoup plus loin en matière de développement des haies. C’est bon pour le stockage de l’eau, pour la biodiversité, pour l’atténuation de la chaleur dans les parcelles, pour la lutte contre l’érosion des sols… – bref, pour plein de raisons. »

Un discours nécessaire car c’est une mesure pleinement mise en place dans les modèles alternatifs et qui est un pilier de la régénération de la biodiversité, de la santé des sols, de l’irrigation mais qui reste minime par rapport à l’ampleur de la transition attendue. 

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