Le député David Taupiac (LIOT) a proposé un projet de loi afin de protéger les citoyens français contre la pollution causée par les substances chimiques nommées PFAS. Malheureusement, des députés de la majorité présidentielle ont grandement affaibli la portée du texte.
Un projet initial ambitieux
Générations Futures avait salué il y a quelques semaines le projet de loi déposé par Nicolas Thierry contre la pollution des PFAS. Retrouvez ici notre analyse. Ce texte n’a pas fait l’objet pour le moment de débats parlementaires.
En parallèle, le député David Taupiac a déposé sa propre proposition de loi (PPL) qui reprend certaines mesures proposées par Nicolas Thierry dont la mesure sur l’interdiction des PFAS dans les emballages alimentaires. Cette proposition est importante car la présence des PFAS dans ces emballages est une réalité (Cf. le rapport que nous avons publié avec des organisations européennes en 2021). Cette mesure d’interdiction a été prise au Danemark dès 2020.
Le second article de la loi Taupiac concerne les installations ICPE (Installations Classées Pour l’Environnement). Elle vise à contrôler et enrayer au mieux la pollution des PFAS à la source. C’est l’une des demandes portées par Générations Futures (voir notre carnet de recommandation).
La Loi Taupiac répond donc en partie aux attentes de Générations Futures. Problème : certains députés de la majorité ont déposé des amendements qui affaiblissent la portée du texte. Décryptage.
PFAS : des députés qui affaiblissent la PPL
Lors de la discussion du texte en Commission du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (CDDAT) de nombreux amendements ont été déposés par la majorité présidentielle visant de sa substance le projet comme l’a affirmé David Taupiac lui-même.
Ils ont été portés par Cyrille Isaac Sibille (Modem), pourtant à l’avant garde sur le sujet, Anne Cécile Violland (Horizons), Claire Pitollat (Renaissance) et un par Jorys Bovet (RN). Revenons en détail sur les modifications :
- Concernant l’article 1 :
L’article visait à interdire les PFAS dans les emballages alimentaires, sans délai, dès l’adoption de la présente loi.
La majorité a amendé cet article en faisant référence à la loi portée par Jimmy Pahun votée à l’Assemblée Nationale . Si l’amendement étend le champ d’application de l’article à d’autres produits comme les jouets, il repousse l’interdiction à 2025 afin, selon eux, d’aligner l’interdiction française avec le calendrier européen et l’adoption du projet de restriction européen porté dans le cadre du règlement REACh.
Pour rappel, le règlement REACh est en cours de révision. Du fait d’attaques répétées de certains lobbies, la révision a pris du retard. Cette dernière est pourtant indispensable car elles visent à gommer les failles actuelles du règlement en permettant d’avoir une meilleure connaissance des effets des substances chimiques sur la santé humaine et sur l’environnement.
Ces députés ignorent sûrement les délais des procédures REACh qui sont très longs. D’après l’ECHA, la restriction ne s’appliquera pas avant 2026/2027 (et non 2025 comme indiqué dans l’amendement) sans compter le délai de 18 mois prévu à partir du moment où la restriction est adoptée.
Ainsi, en attendant la révision du règlement REACh, les parlementaires décalent d’au moins 54 mois l’interdiction. On est loin des “prochains mois” indiqués dans l’amendement ! Cette décision n’est pas sans conséquence !
- Concernant l’article 2 :
Initialement, l’article 2 proposait qu’à partir : “ 1er janvier 2024, les eaux résiduaires et les effluents gazeux issus des installations mentionnées à l’article L. 511‑1 respectent des valeurs limites de rejet de substances polyfluoroalkyles et perfluoroalkyles en milieu naturel fixées par arrêté.»
Les amendements de la majorité ont permis de voter un recul de 2024 à 2026 en argumentant que l’on manque de données pour voter cet article en l’état.
Cela revient à ignorer toute la littérature scientifique démontrant les effets néfastes des PFAS pour l’environnement et la santé. C’est aussi ne pas prendre en compte toutes les données du Forever Pollution Project qui illustre l’ampleur de la pollution en Europe avec plus de 17 000 sites contaminés, 2 100 hot spots, 21 500 sites présumés contaminés. C’est ignorer le fait très simple que tant qu’on émettra des PFAS dans l’environnement, ceux-ci vont continuer de s’y accumuler, la pollution aux PFAS causant déjà le dépassement d’une des limites planétaires concernant l’introduction d’identités nouvelles dans la biosphère.
C’est ne pas tenir compte que cette contamination planétaire atteint aussi les Hommes. L’étude ESTEBAN (2014-2016) a montré que 100% des personnes (enfants et adultes) contenaient du PFOA et du PFOS dans leur sang. Enfin, cela revient à ignorer l’existence d’une valeur limite de rejet qui s’applique déjà pour le PFOS et qui pourrait s’appliquer aux autres PFAS. De quelles données supplémentaires avons-nous besoin pour enfin limiter les rejets dans l’environnement ?
De plus, la majorité prétend reculer la date d’entrée en vigueur de l’interdiction. Or l’article 2 ne propose qu’un seuil à ne pas dépasser concernant les effluents industriels et non une interdiction. Enfin, preuve de la méconnaissance sur le sujet, la majorité à compléter l’article en faisant référence au règlement REACh. Or REACh n’a rien à voir avec la définition de limite de rejet dans les effluents mais avec une autorisation d’usage et de teneur maximale dans les produits.
En complément de l’article 2, à l’instar de la loi portée par Jimmy Pahun, Cyrille Isaac Sibille (Modem) et Anne Cécile Violland (Horizon) ont porté un amendement qui a été accepté pour la publication d’un rapport du Gouvernement sur l’effectivité des mesures mises en place pour limiter la concentration des substances chimiques dans les effluents industriels et dans les milieux naturels.
PFAS : Une loi vide malgré la mobilisation de certains partis
Durant le passage en Commission, Anne Stambach Terrenoir (LFI) a soutenu au nom du groupe la proposition de loi après avoir exposé les échecs de la France sur le sujet notamment le plan PFAS, présenté en janvier, très peu ambitieux et le Plan eau présenté en avril qui ne mentionne pas les PFAS. Chantal Jourdan (PS) a aussi témoigné de son soutien pour le projet de loi tout en amendant avec différents compléments qui ont tous été refusés (cartographier les principaux sites, mise en place d’une campagne nationale pour vulgariser, publication d’un rapport pour évaluer les coûts globaux liés à la pollution des PFAS et formulation de recommandations pour financer ces coûts). Enfin, Nicolas Thierry (Écologiste) a aussi soutenu le projet de loi en soulignant la portée limitée du texte pour toucher au contrôle qualité et aller plus loin que les emballages alimentaires. Guy Bricout (LIOT) a souligné : “la nécessité d’avoir une France à l’avant garde” sur ce sujet, ce que Générations Futures demande depuis de longs mois à travers ses campagnes d’interpellation.
Les parlementaires se sont étonnés du positionnement de Cyrille Isaac Sibille (Modem) quant au recul des dates clés étant député du Rhône et investi sur la situation de Pierre Bénite. Il le défend à travers la nécessité d’être aligné au niveau européen et de collecter plus de données. Comme démontré au début de cette analyse, différentes données existent déjà et la pollution causée par les PFAS n’attend pas, le scandale sanitaire est déjà là.
Ce projet de loi devait passer en plénière lors de la niche parlementaire du groupe LIOT en mai, mais les parlementaires ne l’ont pas débattu faute de temps.